Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

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La République des philosophes ou le paradoxe d'un engagement, Okolo Okonda

Dans cet article, Okolo Okonda s’inspire de l’histoire de la philosophie pour penser l'engagement des philosophes d'aujourd'hui sur  les problèmes de notre époque. Pour cela, il a ciblé quelques philosophes bien connus: Parménide, Héraclite, Platon, Aristote, Kant, Marx, Heidegger. L’article, à partir de cinq points précis, répond à la question suivante : La République des philosophes est-elle possible ?

 

Un désengagement engagé

 

Dès son apparition, la philosophie est politique. Elle est marquée par lplusieurs manifestations. Ce sont des manifestations qui se soldent par l’arrestation de quelques leaders qui subissent des persécutions de la part du gouvernement. Certains philosophes ont, par ailleurs, connu l’exil. Parmi les philosophes qui entretenaient la fibre politique, Okolo Okonda cite Héraclite dont « la pensée et les attitudes sont révélatrices de la nature paradoxale de l’engagement politique du philosophe » (15). Dans le Fragment 121, le philosophe d’Éphèse scande : « Que personne parmi nous ne soit le meilleur ! Sinon qu’il s’en aille ailleurs et avec d’autres hommes ». En réalité, c’est une manière pour l’auteur de traduire sa déception. Dans le Fragment 9, il écrit : « Les ânes préfèrent la paille à l’or ».

 

Un clin d’œil sur Parménide nous signifie qu’il a été Législateur et homme politique reconnu. Cependant il est resté neutre et n'a pas pris de position claire envers la chose publique.

 

Au sujet d’Héraclite, Diogène Laërce (IX, 3) rapporte qu’il (Héraclite) jouait avec des enfants dans la cour du temple d’Artémis, lorsque vinrent auprès de lui quelques éphésiens tout étonnés de le trouver là. Il leur dit : « De quoi vous étonnez-vous ? N’est-il pas mieux de faire ce que je fais que d’être avec vous en train de vous occuper des choses de la cité » ?

 

De cette anecdote, on pourrait définir le désengagement désengagé comme le refus de participer à une politique politicienne dans le but de s’axer sur l’objet de la vraie politique. Héraclite ne rejette pas le gouvernement éphésien de son temps, mais il s’engage autrement. Pour mieux comprendre cette forme d’engagement, il est important de comprendre le cours d'Heidegger sur Héraclite. Selon Heidegger, trois termes forment le socle de la pensée d’Héraclite : Le feu, le jeu et dieu.

 

Le feu, c’est ce qui est à l’origine de tout, qui embrase tout, qui consume tout. Il est dieu ou Logos et son activité n’a pas de finalité car c’est un éternel jeu. Selon Okolo Okonda, « le mot d’Héraclite veut rappeler aux Éphésiens que la politique n’est pas l’activité la meilleure ni la plus élevée. La plus élevée en dignité n’est pas toujours celle que l’on pense. Le jeu d’un enfant est plus élevé parce que plus conforme à l’être que ne l’est la politique des Éphésiens » (p. 16).

 

On peut dès lors comprendre que dans la mesure où l’être est feu, jouer avec l’enfant (activité conforme à l’être), c’est reproduire les gestes de l’être. Par conséquent, Héraclite remet la politique à sa place en lui permettant de comprendre qu’elle n’est pas au-dessus de la piété, du Logos et du jeu. Il montre que c’est le Logos qui oriente la politique, l’éclaire et la guide. En jouant avec l’enfant, Héraclite enseigne aux Éphésiens que la politique est un jeu et ses solutions sont en deçà de la recherche des solutions du jeu des enfants. Ce qui est tout à fait réel, car si l’on observe les problèmes qui se posent aux politiques, on se rendra compte que ce sont des questions qui sont techniques et facilement résolvables. C’est le cas pour l’éducation ou encore la construction des hôpitaux. Ce qui n’est pas le cas pour le jeu de l’enfant qui demande une grande concentration.

 

En somme, Héraclite se désengage de la politique politicienne, mais demeure engagé dans la vraie politique, car en jouant avec l’enfant, il participe de la construction de l cité.

 

Un engagement désengagé

 

Suite à la mort de Socrate, Platon et Aristote ramènent la politique dans la philosophie afin que les philosophes ne sombrent pas dans le politicisme. Ils instaurent « une République des philosophes, une Cité où le philosophe serait roi, une cité régie par des princes philosophes ».

 

Platon est un philosophe de l’engagement. Cette idée traverse l’ensemble de son œuvre et plus particulièrement « République ». Fondateur de l’Académie, son objectif est de former les futurs dirigeants des cités grecques. Mais de quoi est fait l’engagement politique de Platon ? D’une moralité, comme le montre « République ». Il montre que conduire une Cité est un devoir et non un canal d’enrichissement ou de recherche de visibilité. C’est pourquoi lorsqu’un philosophe s’engage pour la politique, son devoir c’est de ne pas laisser le pouvoir entre des mains immorales et déshonorables.

 

Notons tout de même que Platon reste un engagé très prudent. Il invite à s’abstenir lorsque les conditions ne sont pas réunies. Il conseille de camper dans les limites du possible : « Il faut éviter l’héroïsme gratuit, des crimes inutiles contre la philosophie » (République IV, 496-497a)

 

Quant à Aristote, il ne cherche pas à devenir conseiller d’un homme politique. Ce qui l’intéresse c’est l’éducation et la réflexion, parce qu’il sait que c’est en enseignant que l’on fait des hommes et des citoyens. Il fait partie des philosophes qui partent en exil afin d’éviter aux Athéniens un nouveau crime contre la philosophie. Son objectif est d’aider la société à se conformer à un type de société idéal ; idéal qui se trouve dans le choix de régime que l’on opère. Aristote demeure conscient qu’il n’existe pas de meilleur régime. Par ailleurs, il insiste sur l’idée que, peu importe le type de régime qu’on aura choisi, ce qui compte c’est la garantie de la justice, de l’esprit de logique et de la médiété. En somme, Aristote est pour le réalisme politique.

 

Conflit : raison-liberté

 

L’auteur analyse ici le texte de Kant : Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ». Pour Kant, l’Aufklärung constitue la sortie de l’homme de son état d’adolescence pour le conduire vers l’état d’adulte où il est libre et responsable. Il souligne l’importance de la sphère publique dans l’engagement de l’homme, car c’est à travers l’utilisation publique de sa raison qu’il peut exercer sa liberté et la tolérance. Pour Okolo Okonda, « la leçon à tirer des modernes c’est que l’engagement politique ne se sépare pas d’un engagement philosophique profond. « Audere sapere » : Osez savoir et cela ne peut aller que dans la liberté, écrivait Kant. » (19)

 

Dictature ou démocratie

 

Avec Karl Marx, Savoir et penser ne suffisent plus à manifester un engagement politique. l’auteur de Le Capital affirme que la politique est un tissu d’intérêts que la pensée ne peut suffire à traduire. Elle est faite de rapports de domination. C’est pourquoi, « L’engagement politique précède toute pensée susceptible de participer à la libération de l’homme » (19). En accordant la primauté à la pratique, il finit par considérer théoriquement la philosophie comme la lutte des classes. L’inconvénient de la théorie des Marx c’est qu’en donnant le pouvoir philosophique à chaque chef d’État, elle les aide à installer la tyrannie, car les libertés fondamentales prennent un coup. C’est le cas de beaucoup de présidents africains qui se sont pris, illusoirement, pour des rois-philosophes. le grand problème c'esy qu'ils ne sont pas parvenus à intégrer le paradoxe raison-liberté.

 

Engagement controversé.

Martin Heidegger s’est trouvé du côté des Nazis dans les années 30. Le monde le lui a reproché. Il s’en est expliqué dans une interview qui a été rendu public après sa mort. Il justifie son engagement et plus tard son désengagement. Pour Okondo Okola, la pensée d’Heidegger, bien au-delà de toute stigmatisation, demeure politique, à l’instar de celle de Platon, Aristote ou Kant. Son engagement politique vient de sa vision de l’humain. Et l’on sait qu’à un moment, certains engagements en faveur de l’humanité ou d’une nation peuvent virer au nationalisme ou au patriotisme illuminé. Il estime, de ce fait, qu’on ne peut pas reprocher à Heidegger son germanisme duquel ne pouvait a postériori découler le racisme, l’antisémitisme ou le totalitarisme.

 

Conclusion

 

Pour Okondo Okala la République des Philosophes est de l’ordre de l’illusion, car la philosophie elle-même s’y oppose. De fait, elle va à l’encontre de l’exercice de la liberté de même qu’à l’idée de la politique comme jeu d’intérêts. Pourtant, dans son être au monde, le philosophe sait quel est son rôle : être la conscience du monde. À ce propos, il écrit :

 

« L’engagement politique du philosophe c’est d’abord un engagement de tout homme, de tout citoyen. Avec les autres et plus que les autres, il porte à cœur la chose publique. Mais en tant que philosophe, son engagement passe par une pensée profonde et correcte. L’engagement politique est controversé s’il édulcore la philosophie. Le philosophe c’est un homme d’une pièce. On ne lui pardonne jamais l’incohérence et l’inconséquence, théorique ou pratique. Le philosophe doit tendre vers la sagesse, c’est-à-dire vers une plénitude d’action qui fait suite à une plénitude du savoir. Enfin, l’engagement du philosophe se traduit par un discernement dans les causes à défendre. Ici le peuple et l’histoire ne lui pardonnent pas l’erreur. C’est là une conséquence de l’interaction nécessaire entre pensée et action. Logique, conséquence et justesse de vue, voilà ce qui caractérise l’engagement du philosophe, voilà la mesure de sa responsabilité » (p. 22)

 

 

              Par l'Équipe du Blog de Philosophie Politique.

 

 

Références

Okolo Okonda, La République des Philosophes in "Recherches philosophiques africaines", Kinshasa, FCK,p. 15-22, N°25, 1993.

 

 

Qui est Okolo Okonda?

Benoît Okolo Okonda est né en 1947 à Lodja, en République démocratique du Congo. 

Après les études de philosophie, de théologie et de langues et littératures africaines, il est docteur en philosophie (Université de Lubumbashi) et actuellement professeur de philosophie à la Faculté catholique de Kinshasa, à l’université de Kinshasa et à l'université Saint Augustin de KinshasaAprès son doctorat en philosophie, il se rend à Heidelberg (Allemagne) pour approfondir ses recherches en philosophie, où il rencontre Hans-Georg Gadamer. Okolo est surtout reconnu comme un important théoricien de l'herméneutique et de la tradition africaine.

 

 

 

 


06/03/2017
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L'éthique en Islam, compte rendu de colloque

 

L’islam désigne deux objets qu’il faut distinguer : l’islam religion et l’islam civilisation,. celui-ci est régi par le droit musulman, qui lui-même est émanation directe de l’islam religion. L’éthique quant à elle, est un mouvement extrêmement habile entre les pensées et les cultures philosophiques. Ce compte-rendu s’articulera autour de deux niveaux de l’éthique en islam : une éthique philosophique et une éthique religieuse d’ordre juridique.

 

Ainsi donc la première partie s'est atachée à analyser les sources qui ont servi à l’élaboration d’une éthique arabe. La seconde partie quant à elle s’est intéressée à l’élaboration de l’éthique dans la philosophie arabe, aboutissant ainsi à la considération de l’éthique comme genre autonome. Celle-ci a constitué la troisième partie. Une quatrième partie s'est proposée de donner les principaux essais de synthèses découlant de notre réflexion.

 

I- Les sources :

Il s’agit des sources ayant servi à l’éthique arabe. Yahya a synthétisé trois sources à partir de trois traditions :

 

1-La tradition arabe : Elle a été transmise par la poésie, laquelle a connu des évolutions, mais a gardé un lien avec la qasida de l’anté-islam. La poésie c’est la mine de la science des arabes. Il faut noter qu’au IXe siècle, les vertus peuvent être d’ordre personnelles (courage et endurance) et sociales (hospitalité ou loyauté envers les membres de la tribu). Trois d’entre elles prédominent et font le lien entre la communauté et l’individu. Il s’agit principalement du sens de l’honneur personnel, de la maîtrise de soi et de la virilité. En dehors de ces rois aspects, il y a l’implication du mérite.

 

2- La tradition persane : L’empire islamique a été marqué par la suprématie arabe sur les populations soumises. Le Khalife s’entourait aussi bien des secrétaires arabes arabophones que persans arabophones. L’activité des secrétaires persans véhiculent deux thèmes principaux : l’autonomie du politique et la raison , mise au premier plan. L’éthique qui se rattache à cette forme d’esprit s’appelle activité en vue du bien.

 

3- L’héritage philosophique grec : Les héritages arabes et persans constituent un fond culturel incarné dans les mœurs même, contrairement à l’héritage grec qui, suppose un contact avec un ensemble de texte. Les traductions du grec dans le domaine moral sont extrêmement variées. Mais les apports sont ceux de Platon, Aristote et Gallien.

 

 

II - L’apparition de l’éthique philosophique arabe

La philosophie arabe se dit « falsafa » au IXe siècle. Ce terme désigne un courant de pensée qui se situe dans le prolongement de la pensée grecque. Il reprend à son compte les démarches syncrétiques de la basse antiquité.

  • L’élaboration conceptuelle :

Le plus ancien philosophe arabe AL-Kindi (IXe siècle) procède lui aussi de façon syncrétique vis-à-vis de l’héritage grec en s’efforçant de constituer un arsenal théorique. Il ne donne pas une structure définie de l’âme, mais il distinguera à côté du monde des passions une puissance dominatrice et une puissance rationnelle. Chaque puissance de l’âme a une vertu. A chacune de ces puissances sont rattachées des vertus subordonnées (tempérance, patience, maîtrise de soi). La vertu de l’ensemble des puissances est la modération qui constitue un équilibre nommé Justice.

  • La recherche d’un support scientifique

Dans son livre  livre intitulé Sur les causes des différences qui existent entre les hommes en ce qui concerne leur caractère, leur mode de vie, leur désir et leur choix moral raisonné, Qusta Ibn donne des exemples de ces différences. D’une part dans les caractères et les conduites, de l’autre dans les passions. Il désignera deux causes (la nature des hommes et la diversité des tempéraments)  qu’il soumet à une analyse scientifique rigoureuse, en les reliant aux quatre organes prédominants que sont : le cerveau, le cœur, le foie et les testicules, envisagés selon trois paramètres : leur volume (grand petit), leur tempérament (égal ou inégal), leur substance (bonne ou mauvaise). Ces six éventualités sont combinées de toutes les façons possibles.

  • La portée sociale de l’action

A côté des Grecs, l’intelligentsia arabe utilise la littérature grecque et la littérature gnomique. La première est constituée par des écrits pseudo aristotéliciens faisant d’Alexandre Legrand, le modèle des rois. Elle converge avec l’intention des secrétaires iraniens comme miroir des princes. La seconde (gnomique) est fondée par des recueils byzantins empruntés par différents auteurs.

 

La philosophie va prendre une forme élitiste qui lie métaphysique et politique. Ceci va apparaître avec FARABI au Xe siècle. Le texte de celui-ci sur les idées des habitants de la cité vertueuse va montrer le lien entre philosophie première et politique. Il traite d’abord de l’être premier et de ses attributs, puis il expose la théorie de l’émanation héritée du platonisme et la théorie hylémorphique, ensuite, il fait suivre l’exposé de la théorie de l’âme et la puissance, liée à la doctrine de l’information de la matière et de l’interprétation des songes et des inspirations prophétiques. C’est l’inspiration prophétique qui introduit l’éthique proprement dite.

 

Selon Farabi, Le souverain bien et l’ultime perfection ne s’obtiennent qu’à la cité d’abord et non à une société moins parfaite. La cité est organisée en fonction avec la hiérarchie de l’âme. La fonction dominante est la volonté du choix, de la conception du bien et du mal. C’est pourquoi il insiste sur le rôle de la volonté (le cœur). Il met au premier plan l’âme rationnelle et il pense que les mauvaises cités découlent des mauvais choix de la volonté.

 

III- L’éthique comme genre autonome

Bien que de formation philosophique, Ibn ‘Adi ne reprendra dans son livre que ce qui de la philosophie lui permettra d’organiser son exhortation en règle de vie. Par conséquent, il rompt avec la métaphysique et l’analyse scientifique et définit un univers intermédiaire entre deux niveaux de valeurs : la valeur de tout un chacun répercutée par les traditions littéraires ainsi que les idéaux de l’élite intellectuelle encore balbutiant dans des germes qui restent partiellement cloisonnées. Ce qui littéralement se traduit par le titre de l’ouvrage « correction des mœurs ». Il expose deux séries de vingt vertus avec en tête la tempérance. La deuxième série, ce sont les vingt vices. Pour chacun on distingue les niveaux sociaux, ce qui est vertu pour l’un peut être un vice pour l’autre.

  • L’éthique coranique

Il y a dans le coran, un certain infléchissement de la morale biblique. Il énonce des principes moraux généraux qui correspondent à certains commandements du décalogue biblique, dilués dans divers passages du coran et ne constituant pas un code. Les injonctions sont formulées de façon juridique. La notion de « Hukm » que le coran lui-même emploie pour qualifier les indications divines a glissé de l’idée de sagesse vers celle d’ordre et de celle d’ordre à celle de qualification légale. 

 

L’aspect prédominant de vertus prônées dans le coran est leur caractère relationnel. Tout est envisagé dans le rapport soit avec Dieu, le prophète ou les autres hommes. Le rapport à Dieu réside avant tout dans la foi. Ceci implique avant tout pitié, louange, gratitude et confiance. Ce sont là les vertus du croyant. Leur réalisation entraîne l’acquisition de plusieurs vertus : humilité, l’attention à l’enseignement de Dieu, la patience et la persévérance.

  • L’impact de l’histoire dans l’élaboration de la question éthique

L’existence du mal n’est pas posée comme problème en islam, le problème moral étant éludé. En détournant l’attention des croyants vers l’action de lutte, l’islam a favorisé la considération du problème moral comme condition requise pour être compté dans la communauté des croyants.

La volonté de Dieu est contemporaine de ses actes. Dieu agit avec les choses, mais ne les veut pas toutes. C’est la raison de l’homme qui détermine son action. C’est pourquoi la responsabilité est mise en relation avec le seul statut légal de l’action. C’est là que le doute intervient légitiment à ce sujet. Il ne s’agit en aucune manière de scrupule de conscience, c’est-à-dire de déroulement entre devoirs contraires. Ce qui meut le croyant, c’est l’obsession de la souillure.

  • La question du châtiment

C’est un thème omniprésent dans le coran. Si l’homme peut-être puni pour une faute, c’est qu’il en est « capable ». Il faut donc supposer que le Créateur a mis en lui une puissance d’agir parfaite et complète. Ces diverses spéculations sont à l’origine d’une attitude consistant à renvoyer au jugement final à Dieu où Dieu désignera qui est vraiment croyant. L’homme dans ce cas va se contenter de l’admonestation ou de la correction en cas de faute. C’est ce qui explique la consultation très présente des jurisconsultes musulmans.

 

Dans ces conditions, pour les musulmans qui se tiennent en dessus du dernier niveau, l’éthique se situe au niveau du souci de la rectitude religieuse qui est de l’ordre du juridique et la gestion de l’action qui fait partie d’un chapitre particulier de l’adab.

 

IV- Les principaux essais de synthèse

Deux auteurs, Al- Mawardi et Ghazali dont les écrits ont un caractère humaniste. Nous nous limiterons à Ghazali dont l’œuvre se situe à un niveau plus élevé parce qu’il intervient aussi en période de crise. Il a joué le rôle de garant de l’orthodoxie, rejetant tout ce qui à ses yeux était inadmissible.

 

Il fait l’étude de la philo dans le monde en quatre sections : la logique, l’éthique, la physique et la métaphysique. Son attitude vis-à-vis de l’éthique est ambigüe. Il fait un traité spécial : la balance de l’action. Il y distingue trois niveaux d’observations : le vulgaire, quiconque cherche à être guidé et l’opinion qu’un homme prend pour lui-même et qui n’est divulgué qu’à celui qui la fait sienne.

 

Il critique vivement l’éthique philosophique en modifiant l’habillage antique et en donnant des exemples dans le quotidien musulman. Il y pose des questions à la théologie même : la question de correction des mœurs. Il prend position contre l’idée selon laquelle la disposition serait une nature crée entièrement dépendant de Dieu seul. Il rappelle la présence dans le coran de nombreux versets de commandements, d’admonitions d’encouragement et de menaces. Par leur existence même, il prouve que l’homme est susceptible de changer de disposition. Il conclut que dans ce processus, il y a un acte de choix libre.

 

Finalement, cet auteur sunnite, a synthétisé une grande partie des réflexions morales qui ont éclot dans le monde islamique. Pour lui, de même que l’ouverture au sophisme ne supprime pas le légalisme, de même l’acceptation de l’idée capacité propre à l’homme, ne dispense l’idée de soumission totale à la loi.

 

 

Pénélope Mavoungou, 

 

Compte rendu de colloque, dirigé par Madame Urvoy Marie-Thérèse,Docteur en études arabes et islamologiques (Paris I Panthéon-Sorbonne), Docteur ès lettres et sciences humaines (Paris I Panthéon-Sorbonne), HDR, qualifiée Professeur des Universités par le CNU

 

Ouvrages de référence de Marie-Thérère Urvoy

 

Liberté religieuse et éthique civique (direction), Paris, E.d.P., 2012, 304 p.

Essai de critique littéraire dans le nouveau monde arabo-islamique, Paris, Cerf, 2011

Ethique et religion au défi de l'histoire (direction), Paris, E.d.P., 2011, 206 p.

Christianisme et islam, foi et loi (direction), Paris, E.d.P., 2010, 222 p.

Islam et christianisme : éthique et politique (direction), Paris, E.d.P., 2010, 176 p.

Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien (en collab. avec D. Urvoy), Paris, Cerf Le premier traité d'éthique arabe, Paris, Cerf

 

 

 


31/01/2017
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Déclaration des Écrivains Congolais sur la situation politique de l'heure au Congo-Kinshasa

Devant Dieu, les hommes et l'histoire...

 

 

Nous, Écrivains Congolais réunis au sein de nos Associations professionnelles;

 

Conscients de notre rôle consistant à interpeler les consciences et apporter la lumière à notre société à travers nos écrits;

 

Suite à la situation politique de l'heure qui ne saurait laisser personne indifférent;

 

Avons estimé nécessaire de tirer la sonnette d'alarme à travers les lignes suivantes constituant notre déclaration commune:

 

 

La Nation Congolaise est en danger. Il faut la sauver, et vite!

 

Le Peuple Congolais ne doit pas être pris en otage dans des querelles politiques intestines, qui n'en finissent pas. Ce pauvre peuple a assez payé, en termes de sang versé et de souffrances innommables qu’il endure.

 

Nous invitons les acteurs politiques Congolais, de quelque bord qu'ils appartiennent, à fournir un réel effort de dépassement, à mettre de l'eau dans leur vin, en vue de préserver notre patrimoine commun, la RDC.

 

Nous leur demandons d'adopter un comportement consensuel, de respecter la Constitution et d'éviter tout propos incendiaire susceptible de mettre en péril la paix et la stabilité dans notre pays.

 

Dans cette perspective, seul le dialogue et la réconciliation entre acteurs politiques peuvent être porteurs d'espérance pour notre Nation.

 

Par conséquent, nous invitons les acteurs politiques congolais à mettre à profit le cadre de concertation et de dialogue mis en place au Centre Interdiocésain sous l'égide de la CENCO pour vider leurs divergences et regarder dans la même direction.

 

Nous leur rappelons que la maison Congo est notre legs commun. Elle doit être préservée de tout acte de violence. La violence n'appelle que la violence. Elle laisse des plaies inguérissables.

 

En cette période cruciale de l'histoire de la RDC, les écrivains congolais appellent tout acteur politique et par-delà, tout congolais épris de paix, à un sens élevé de responsabilité et de maturité.

 

Montrons à la face du monde, notre capacité à trouver des solutions à nos problèmes nous-mêmes, sans interférence de qui que ce soit.

 

 

Ensemble, luttons et militons pour la paix!

 

Vive la RDCongo, Notre Patrie!

 

Vive la Paix!

 

Fait à Kinshasa, le 14 décembre 2016

 

 

 

 

 


16/12/2016
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LOKENGO ANTSHUKA NGONGA: Consensus politique et gestion démocratique du pouvoir politique en Afrique

Voici un livre qui participe aux débats sur la philosophie politique en Afrique. Après avoir mené le lecteur dans les origines du mot « démocratie » en son versant athénien et moderne, l’auteur précise sa conception du consensus.

 

Le livre est intéressant en ce qu’il nous renvoie à l’expérience démocratique dans l’Afrique traditionnelle. Lokengo Antshuka Ngonga, politologue congolais, clarifie son approche en évoquant les cas des Nkole et des Igbo. Il poursuit son approfondissement de cet apport contextuel en dégageant les « caractéristiques des démocraties africaines anciennes » (p. 165). Il énumère par conséquent : un « système communautaire non partisan »,  un « système plural et ouvert à tous », un « système à caractère social et politique », un « système consensuel ordonné », un « système garantissant la relève de l’autorité », un  « système basé sur la coexistence pacifique », un « système prônant l’équilibre institutionnel », et enfin, « un système fondé sur le respect de l’être humain ». De tels processus contribueraient volontiers à la réinvention des pratiques démocratiques contemporaines.

 

 

C’est en ce sens qu’il nous est proposé quelques conditions pour sortir l’Afrique politique de ses écueils à la démocratie. L’approche qui les contrebalance en appelle à plusieurs facteurs dont, une formation des citoyens afin  de se structurer sur le projet de la démocratie. A cet égard, une restructuration des forces de sécurité et de l’armée est nécessaire. Pourra-t-on détribaliser l’armée et la rendre à son premier objectif de protection du territoire et non la mettre au service d’un potentat ? En tout cas, pour l’auteur, « détribaliser les forces de sécurité en général et l’armée en particulier est une exigence patriotique » (p. 204) ; Un éveil démocratique nécessite de « restituer à la femme africaine sa place dans la cité » (p. 205). Cette perspective est de la plus haute importance car, « en Afrique, la femme est la gardienne de la culture, la conservatrice des valeurs ancestrales » (p. 205). La démocratie pour l’auteur fait donc de la femme « l’égale de l’homme à tout point de vue ». L’engagement de la femme en démocratie lui permettra d’œuvrer à la réalisation du projet démocratique construit autour de la liberté, de la justice, et de l’égalité. Les femmes comme les autres citoyens doivent être formés à cet égard.

 

Peut-on fonder la démocratie sur le consensus ?

 

 

 

 

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Akono François-Xavier.

 

Références:

LOKENGO ANTSHUKA NGONGA, Consensus politique et gestion démocratique du pouvoir politique en Afrique, Louvain-la-Neuve, L’Harmattan, Academia, 2015

 

 

 

 


25/10/2016
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Démocratie, Femme et Société civile en Afrique de Ngoma-Binda

 

Tirant des leçons de la manifestation des démocraties africaines à l’heure actuelle, l’ouvrage du philosophe Ngoma-Binda, qui adopte une méthode réflexive et sociologique, a un seul objectif : l’avènement de la démocratie en Afrique doit devenir meilleure et adéquate. Et pour cela il faut l’apport de deux réalités jusque-là mises de côté. Les femmes et la société civile. Pour comprendre cela nous n’avons pas besoin de lire des tomes et des tomes d’ouvrages de philosophie et de science politique. Le problème est là : le mal en Afrique est issu de l’inertie de sa société civile. Écrit en 2012, ce livre reste encore d’actualité au moment où certains pays d’Afrique ont du mal à décoller démocratiquement, car si l’avènement démocratique du début des années 90, à partir de l’autodestruction des idéologies communistes en 1989, a conduit toutes les cultures monopartites africaines à la démocratie, il faut reconnaître aujourd’hui que cela a davantage été un effet de mode qu’une démocratie dont l’essence se situe dans la souveraineté du peuple, la liberté et l’égalité. Ngoma-Binda rappelle donc que la démocratie avant d’être un régime politique doit d’abord être une mentalité, mais les peuples d’Afrique ont-ils été préparés à la démocratie ?

 

 

Démocratie dans l’Afrique post Coloniale : ce qu’il faut pour l’avènement d’une démocratie libérale.

 

Pour Ngoma-Binda, la démocratie imposée des années 90 est une « médication forcée » que les dirigeants africains acceptent à contrecœur. Dès lors les nouveaux démocrates usent de tous les moyens pour contourner les principes démocratiques. Il existe certes le multipartisme, mais la logique du pouvoir reste celle d’u monopartisme où sont bâillonnés ceux qui osent élever leur voix pour contester la corruption de la démocratie. Certains partis qui se disent d’ailleurs de l’opposition ne sont, en fait, que le reflet de ce monopartisme qui s’enlise dans l’ethnocratisme téméraire et dans le clanisme absolu. De ce fait, il paraît impérieux de mettre en place les conditions de possibilité et de survie d’une démocratie.

 

 

Premièrement le philosophe suggère la possibilité de revoir la « logique d’accession » au pouvoir politique en Afrique. Pointant du doigt la manière dont sont arrivés les hommes au pouvoir au moment de l’indépendance, l’auteur estime que c’est de là que tout est parti. Désormais, démocratie ou pas, les États africains se complaisent dans des coups d’états ou encore dans des assassinats pour pouvoir arriver au pouvoir. Peu importe alors la volonté du peuple. De ces accessions au pouvoir rudimentaires on note l’instauration des partis uniques. Ce qui malheureusement, selon Ngoma-Binda, n’a pas changé, car la stratégie politique est encore la même, formatée dans les cerveaux de plusieurs chefs d’États africains qui, désormais n’hésitent pas à parler de démocratie africaine pour justifier leur folie du pouvoir. Par exemple, l’auteur écrit  que « pour l’ensemble des cinquante ans des indépendances africaines, on aura connu 45 coups d’État militaires (de 1960 à 1980) plus 59 coups, soit exactement 104 coups et assassinats, et pas moins de deux centaines de tentatives de coup d’État violents » (p. 35).

 

 

Deuxièmement l’auteur évoque la non-alternance comme une volonté d’éternisation au pourvoir. Si dans la logique démocratique la logique et le principe de l’alternance sont mis de l’avant, dans la logique des démocraties africaines, « on ne connaît que très peu la notion d’alternance quand bien même on clame évoluer dans un système démocratique. Il en résulte que la volonté d’éternité au pouvoir constitue une source des misères politiques et de la mauvaise gouvernance de l’Afrique. Dès qu’ils ont accédé au pouvoir, mourir au pouvoir devient immédiatement le plus grand idéal des chefs d’État D’Afrique ». (p. 40). Ainsi donc les stratégies, selon Ngoma-Binda, utilisé pour s’éterniser au pouvoir sont : la fraude électorale, la contorsion de la constitution nationale et le dauphinage génétique. À cela s’ajoute les trois arguments pour justifier ce désir d’éternité au pouvoir : le travail entamé ne peut jamais s’arrêter, le président se considère comme étant seul garant du bonheur du peuple et la tradition africaine qui peut faire de lui un chef à vie.

 

 

 

La femme au pouvoir : engendrement de la politique

 

L’auteur dénonce ici la confiscation de l’espace politique par la gent masculine. Il s’interroge : « Une démocratie politique est-elle possible sans la participation de la femme ? Rigoureusement masculinisée, la politique ne manque-t-elle pas de civilité, et d’efficacité parce que, précisément, elle exclut la féminité ? Mais est-il vraiment justifié de souhaiter l’arrivée des femmes dans la démocratie des hommes ? » (p.59)

 

Pour l’auteur, une démocratie où la femme est prise à la légère est une démocratie inachevée. C’est pourquoi il dénonce la misogynie rationnalisée ou l’incompétence de la femme dans l’espace publique. Selon lui si le rejet de la femme est visible dans toutes les sociétés, en Afrique, elle est pire car la tendance générale considère que la sphère publique ne porte que l’émanation de l’homme. La femme est moquée, dédaignée et des fois réduite  à un instrument à la solde du pouvoir. Corruption et frivolité semblent la caractériser ou, du moins, c’est tel que les hommes la voient. À côté de ses jets dont est victime la femme, il y a aussi la femme elle-même, ou plutôt la tradition qui a fait de la femme un humain de seconde zone culturelle en ne lui donnant pas accès à l’éducation de manière équitable avec l’homme. L’idée qui consistait à réduire la femme dans la sphère du mariage a fait plus de dégâts que l’on ne peut imaginer car le phallocratisme fait de la femme un éternel enfant pour qui l’homme demeure le seul garant de tout ce qui doit se faire.

 

En somme ce qu’il faut retenir ici c’est que pour NGoma-Binda, la justice demeure au fondement de la participation politique de la femme. Il invite, de ce fait, les femmes à prendre conscience : « Femmes, recherchez tout d’abord le royaume élevé de l’éducation, de la qualification, et en toute légitimité, la parité vous sera donnée naturellement. Recherchez la parité raisonnée et raisonnable, non turbulente, non téméraire, et non absolument « zébrée », et l’harmonie régnera, dans nos foyers et dans nos nations »  (p. 103-104)

 

 

 

L’engendrement d’une société civile politique

 

Pour Ngoma Binda, l’apolitisme et l’indépendance sont les deux principes de jugements et d’action de la société civile. Dans ce sens la société civile ne vise aucun accès à un gouvernement quelconque et ne vise aucun poste politique. Elle se proclame de la neutralité et de l’impartialité. Le risque que court les différentes sociétés civiles africaines c’est celui de la corruption politique et mentale. Il est à noter, de nos jours que plusieurs hommes de pouvoir ont à cœur de financer des associations de la société civile en vue de les arrimer à leurs arcs lors d’élections ou encore de mouvement de soutien comme le référendum pour le changement de la Loi fondamentale nationale. Cependant tout en étant apolitique, la société civile demeure le lieu de l’éducation de la citoyenneté. En gros, elle a pour mission de former le citoyen à la politique sans se politiser elle-même, même si, sur une entente avec ses membres et devant une situation d’extrême urgence, elle peut décider d’entrer en politique. En somme pour Ngoma-Binda pour qu’elle tienne, si elle veut entrer en politique« la société civile (…) est tenue d’actionner des règles de transparence et de démocratie en son sein, dans sa structuration et dans son fonctionnement » 128

 

 

Citoyenneté mature et bon exercice du pouvoir

 

L’auteur déplore ici le manque d’innovation et d’adaptation de la part des démocraties africaines, pour repenser cette démocratie libérale pour laquelle ils ont tous optés. La quasi-totalité des constitutions africaines affirment des principes qui n’ont aucun ancrage dans la réalité. Ils sont, au contraire bafoués. En bref, il s’agit d’un copier-coller des constitutions occidentales en mal d’adaptation. On ne peut pas parler de démocratie en Afrique lorsqu’on est incapable de respecter les Constitutions nationales. Pour l’exercice d’un pouvoir politique démocratique viable, Ngoma-Binda évoque quatre idées. Primo une vision claire, éclairée et pertinente. Secundo le sens de justice impartiale. Tertio un courage soutenu par une détermination sans faille. Quarto une volonté ferme nourrie à de l’énergie spirituelle inébranlable pour la cause de la nation et de l’humanité en elle. (p. 153).

 

 

Au-delà de quelques limites sur la place et le rôle de la femme dans les démocraties, l’ouvrage de Ngoma-Binda propose une réflexion socio-politique et philosophique nouvelle sur les questions de la démocratie libérale en Afrique. Il pose par-delà le traditionalisme africain le lien entre le particulier et l’universel concret, car il n’est pas possible de parler de démocratie, qu’elle se vive en Afrique ou ailleurs, lorsque les fondements de la démocratie sont mis à l’écart de la politique. Son approche sur la gestion de la société civile est d’une pertinence indéniable car, si aujourd’hui la démocratie a du mal à décoller en Afrique c’est bien parce que la société civile elle-même peine à se définir dans les sphères qui sont les siennes, se laissant embrigader par le pouvoir politique où lorsqu’elle n’est pas considérée comme une société civile, elle est considérée comme l’ensemble des micros partis avec comme vocation de servir le pouvoir corrompu « en voie de métamorphoses vers des formes insidieuses de monarchies ou de principautés » (p. 155). L’approche sociologique a été utile parce qu’elle a permis de se rendre compte que la question démocratique pose vraiment des questions quant au développement économique et culturel du Continent, car la quasi-totalité des États africains ont un problème avec les principes démocratiques. L’auteur est parti d’une enquête sociologique qui lui a servi de point d’ancrage. Quatre leçons se dégagent donc de ce livre. La première c’est de repenser la démocratie libérale à l’universel en augmentant ses prescriptions. La deuxième est celle d’accepter la pleine intégration de la femme et de la société civile dans la gouvernance politique. La troisième est la reconduction satisfaite du libéralisme et l’invention d’une forme libérale alliée au communautarisme. La quatrième c’est de privilégier la relation à autrui en investissant de la sincérité et de la responsabilité dans la reconnaissance intelligente de l’autre. Le tout dans une volonté de « civilisation de la démocratie » qui commence d’abord dans la « civilisation » de la politique.

 

 

 

Pénélope Mavoungou

 

 

P. Ngoma-Binda, Démocratie, Femme et  Société civile en Afrique, Paris, Éditions L’Harmattan, 2012 ;

 

Biographie :

Ngoma-Binda est professeur de philosophie, de science politique et d’éthique des affaires à l’Université de Kinshasa, directeur de l’Institut de formation et d’études politiques (Ifep). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de philosophie, de science politique et de littérature.

 

 

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17/06/2016
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Laïcité et liberté de conscience: Jocelyn Maclure et Charles Taylor

 

 

Laïcité et Liberté de Conscience de Jocelyn Maclure et de Charles Taylor a été publié pour la première fois en 2010. Il est issu de la participation des deux philosophes québécois à la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles au Québec dont ils ont été les rédacteurs du Chapitre 7. L’une des principales particularités du livre c’est qu’il s’ancre dans la réalité de terrain à travers l’exemple de la laïcité dans son expression québécoise plus notamment. Cet ancrage constitue donc à la fois la simplicité et la rigueur de l’ouvrage car il dépasse les simples conclusions du rapport pour embarquer le lecteur dans une dimension à la fois historique, philosophique, juridique et sociétale. Dès l’introduction les auteurs n’hésitent pas à soulever le caractère complexe du mot Laïcité : « (…) La laïcité est complexe, car elle est faite d’un ensemble de finalités et d’arrangement institutionnels » (p. 11). En outre, chez eux la question de la Laïcité ne peut se limiter à des questions de religion. Elle est plus large.

 

 

Le livre comprend deux parties et onze chapitres.

 

 

Ce qu’il faut savoir sur la Laïcité

 

 

La Laïcité, nous rappellent les auteurs, est une question de neutralité qui ne privilégie aucune religion. Pour qu’elle ne tourne pas en un privilège il faut de la part de l’État qui se dit Laïque des pré-requis comme l’impartialité. En mettant face à face la neutralité de l’État et la question du pluralisme moral, l’objectif est de faire comprendre que dans la mesure où c’est l’égal respect et la liberté qui président dans une société démocratique, les différentes visions du monde qu’elles soient de l’ordre de la foi, de la tradition ou de la morale ne doivent jamais influencer la décision et le rôle de l’État. Seulement cela ne signifie pas que l’État doit les occulter, car « la question de la Laïcité doit (…) être abordée dans le cadre de la problématique plus large de la nécessaire neutralité de l’État par rapport aux multiples valeurs, croyances et plans de vie des citoyens dans les sociétés modernes ». (p. 19). L’État est souverain et ne doit prendre position sur aucune valeur parce que son rôle est de transcender toute croyance pour privilégier le dialogue démocratique. De ce fait, devant le pluralisme des groupes ou des individus, seule la neutralité de l’État peut favoriser le vivre-ensemble et permettre la participation de tous dans la sphère publique.

 

 

 

Qu’est-ce que la Laïcité ?

 

« La laïcité est l’une des modalités du régime de gouvernance permettant aux États démocratiques et libéraux d’accorder un respect égal à des individus ayant des visions du monde et des schèmes de valeurs différents » (p. 29). Selon Maclure et Taylor, la Laïcité repose sur deux grands principes à savoir, l’égalité de respect et la liberté de conscience. Deux modes opératoires permettent de réaliser ces principes. Premièrement la séparation de l’Église et de l’État ; deuxièmement la neutralité de l’État. Ils insistent par ailleurs que ces modes opératoires sont indispensables pour la réalisation de la Laïcité. Le premier principe est un guide pour l’attitude de l’État Laïque. Il lui permet de se placer au-dessus des particularismes pour dire le droit, la démocratie et la dignité humaine.

 

 

 

Les régimes de la Laïcité

 

Pour déterminer un régime de la Laïcité, les auteurs estiment qu’il faut tenir compte de leur connexion avec la « pratique religieuse ». De ce fait la laïcité peut être radicale ou non, « rigide », « sévère » ou non ; « souple », « ouverte » ou non. Cela dépend de la manière dont elle se comporte devant une situation donnée (par exemple la visibilité d’un signe religieux dans certains lieux par exemple). Partant, il existerait donc deux régimes de la Laïcité : le régime républicain et le régime libéral pluraliste.

 

 

Le premier « attribue à la laïcité la mission de favoriser, en plus du respect de l'égalité morale et de la liberté de conscience, l'émancipation des individus et l'essor d'une identité civique commune, ce qui exige une mise à distance des appartenances religieuses et leur refoulement dans la sphère privée » (p. 46). Il se focalise prioritairement sur les modes opératoires qui deviennent non plus seulement des moyens mais des valeurs à savoir la neutralité et la séparation de l’Église et de l’État. C’est le cas de la Laïcité dans sa formule française. Ce qui est mis en avant ici c’est la relation de la religion avec l’espace public et l’espace privé, car la religion y est invitée à garder sa place dans la sphère privée.

 

 

Le second (libéral pluraliste) « voit quant à lui la laïcité comme un mode de gouvernance dont la fonction est de trouver l'équilibre optimal entre le respect de l'égalité morale et celui de la liberté de conscience des personnes » (Ibid.). Ici ce qui est fondamental ce sont les principes de l’égal respect et de liberté de conscience. C’est le cas de la Laïcité dans sa formule québécoise qui ne focalise pas son discours sur la présence ou non du religieux dans l’espace public, mais qui visant l’équité et le respect de la liberté des consciences va avoir recours aux « accommodements raisonnables pour régler un contentieux ».

 

 

In fine, ce régime de laïcité vise « la conciliation optimale de l’égalité de respect et de la liberté de conscience » (p. 37)

 

 

 

Le public et le privé

 

La thématique du public et du privé est au cœur de la question de la Laïcité dans les sociétés démocratiques. C’est un couteau à double tranchant parce que si elle est le lieu du problème, elle est aussi le lieu de la solution. C’est comme l’écrit Pierre Manent, « le lieu  stratégique où se nouent leurs difficultés, leurs drames et aussi leurs possibilités (…) », (Manent, p. 69). Après avoir donné le sens de « Public » selon l’Antiquité et selon le siècle des Lumières, les deux auteurs du livre démontrent que le problème de la Laïcité avec l’espace public viendrait peut-être de ce double sens où finalement le problème de la neutralité peut être vu sous deux angles où l’on choisirait soit de tolérer le signe religieux dans l’espace public, soit d’en interdire l’ostentation.

 

 

Somme toute les auteurs reconnaissent le caractère général et donc imprécis de cette distinction public-privé pour pouvoir « évaluer la place de la religion dans l’espace public » (p. 54), car là où existe véritablement la liberté d’expression, chercher à limiter la religion dans l’espace privé relèverait soit de l’utopie soit de la dictature mentale.

 

 

 

La question des accommodements raisonnables

 

Commençons par nous souvenir que la liberté de conscience avec l’égal respect fait partie des principes de la Laïcité. Dans la deuxième partie qui se focalise précisément sur la liberté de conscience, les auteurs reconsidèrent avec soin le deuxième régime de la Laïcité qui est la Laïcité pluraliste en partant du modèle québécois. Après un bref rappel de la liberté de religion qui est inscrit dans les documents juridiques nationaux et internationaux, les auteurs soulignent que la «  liberté de religion inclus la liberté de pratiquer la religion » (p. 83). Pourtant il n’est écrit nulle part que cette liberté permet les accommodements des différentes situations. Se pose ainsi la question de ce qu’il faut accommoder, mais surtout celle de savoir pourquoi faut-il accommoder les croyances alors que les personnes, avec handicap physique ou mental, par exemple vivent leur handicap comme si de rien n’était. Selon Jocelyn Maclure et Charles Taylor les accommodements raisonnables reposent sur deux grandes prémisses qui justifient leur pertinence : « 1) les règles qui font l'objet de demandes d'accommodement sont parfois indirectement discriminatoires à l'endroit des membres de certains groupes religieux ; 2) les convictions de conscience, qui incluent les croyances religieuses, forment un type de croyances ou de préférences subjectives particulier qui appelle une protection juridique spéciale » (p. 93). Ces deux règles réunies permettent de comprendre que dans l’adoption d’un accommodement raisonnable ce qui compte ce n’est pas d’adapter chacune des situations, mais plutôt celles qui sont nécessaires à la construction sociale et qui n’empiètent pas l’idéal des démocraties  c’est- dire celles qui  permettent de « donner un sens et une direction » (p.97) à la vie d’un citoyen et « permettent de structurer son identité morale et d'exercer sa faculté de juger dans un monde où les valeurs et les plans de vie potentiels sont multiples et entrent souvent en concurrence » (Ibid.). On ne peut donc accommoder ce qui relève d’un goût, d’un plaisir personnel ou d’un désir.

 

 

 

L’Avenir de la Laïcité

 

La Laïcité n’est pas le laïcisme, ou une sorte de cloison dorée réservée aux initiés ayant atteint un certain degré de puissance. Elle ne s’enferme donc pas exclusivement dans des déclaration propagandistes de type « séparation de l’Église et de l’État » ou encore « la neutralité de l’État à l’égard des religions » ou bien « la sortie de la religion de l’espace public ». Ces formules peuvent dire quelque chose de la Laïcité, mais il n’y a pas que cela, car « la Laïcité repose plutôt sur une pluralité de principes ; chacun remplissant des fonctions particulières » (p. 29). Les acteurs démocratiques devraient apprendre à privilégier, à côté des problèmes de distribution économique à tenir compte des diversités humaines, sociales, religieuses, morales et culturelles de l’individu des temps démocratiques d’autant plus que la diversité est inhérente à toute société démocratique. La religion étant une vision du monde comme d’autres visions, il n’est pas nécessaire de l’isoler en la confinant dans l’espace privé.

 

 

La question de la Laïcité dans les sociétés démocratiques et libérales étant en soi une question complexe, il est clair que pour qu’elle essaie de ne pas dégénérer en haine de la religion, qu’elle tienne compte de certaines circonstances et apprennent à s’adapter des fois. Les auteurs l’ont démontré à la fin de leur livre. La question des accommodements raisonnables est aussi complexe que celle de la Laïcité car elle se heurte à la multiplication des demandes. Doit-on tout aménager ? De nos jours avec les extrémismes religieux qui ne laissent désormais personne indifférent l’on se demande sans cesse si les gouvernements en fonction des demandes d’accommodement de la laïcité succomberont au piège de la manipulation du signe ou de la présence ou encore des habitudes religieuses qui n’ont aucun impact social. Et si les religions et autres valeurs traditionnelles et culturelles s’adaptaient ?

 

 

La question reste ouverte à tous, mais pour les auteurs, envers et contre tout et parce qu’ils raisonnent d’abord en tant que philosophes, soucieux de la liberté de l’individu rationnel et responsable, « ce ne sont pas les convictions religieuses en soi qui doivent jouir d'un statut particulier, mais bien l'ensemble des croyances fondamentales qui permettent aux individus de structurer leur identité morale » (p. 115-116). Étant donné que la dynamique libérale rime avec la question de la souveraineté de l’individu, l’un des vrais problèmes de la Laïcité de nos jours est réellement le problème de la liberté de l’individu, de comment l’État Laïque permet à l’individu de se déployer dans un conditionnement qui tienne compte de l’égalité, de la liberté  et des diversités.

 

 

 

La laïcité ou l’histoire d’une résistance.

 

Résistance à quoi ? À l’uniformité. La laïcité, dans son principe n’est ni conformiste ni tyrannique. Elle refuse de s’enfermer dans une définition prête à porter. Sa vocation porte en elle une capacité à s’adapter. En théologie, on parlerait d’inculturation autrement dit la capacité d’adapter quelque chose (Évangile chez les Chrétiens) dans dans une culture donnée. Ce qui n’est ni « acculturation » et encore moins « Inculte » mais plutôt incarnation d’un modèle dans les différents modes de vie et dans la gouvernance d’une démocratie qu’elle soit républicaine ou pluraliste.

 

 

Au terme de notre recension, nous sommes tentées de poser la question suivante : Doit-on réformer ou corriger la Laïcité ? Ce livre a été écrit il y a exactement six ans et nous démontre que la Laïcité est aussi l’histoire d’un dialogue permanent. Il vient d’être réédité en 2016. Il demeure d’une pertinence inégalable encore aujourd’hui car la question de la religion et de sa place dans l’espace public démocratique est d’une acuité ineffable. On ne pourra pas nier que ce livre, comme tout livre a ses limites et nous laisse dans des questionnements multiples, cependant l’une de ses originalités c’est qu’il représente pour les penseurs de notre époque une sorte de Galerie contemporaine des questions démocratiques de la religion et de la Laïcité. Pour une Laïcité ouverte, Maclure et Taylor jugent essentiel l’alliance réelle de l’éthique avec le politique.

 

 

 

 

Pénélope Mavoungou

 

 

Références :

 

Jocelyn Maclure et Charles Taylor, Laïcité et liberté de conscience, La Découverte, coll. « La Découverte », 2010, 164 p., EAN : 9782707166470.

Jocelyn Maclure et Charles Taylor, Laïcité et liberté de conscience, Montréal, Boréal, 2010, 164p.,

Pierre Manent,  Intérêt privé, intérêt public, « L’actualité de Tocqueville », CPPJUC, N°19, Caen, 1991, p. 69-71.

 

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24/05/2016
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Les Sommeils des Indépendances de Josué Guébo

Les sommeils des indépendances de Josué Guébo est un recueil de chroniques paru en 2015 aux éditions l’Harmattan Côte d’Ivoire. L’ouvrage apporte de nouvelles idées sur  les questions de l’identité africaine, des modalités de penser et d’envisager l’afrocentricité. L’auteur suggère non seulement des moyens pour repenser les questions africaines, mais aussi les concepts de cette vision africaniste africaine de l’Afrique du XXIe siècle. De ce fait son travail porte non seulement sur les évolutions inhérentes à la politique et à l’organisation africaine mais aussi sur l’avenir de ce continent. Vaste travail, mais il a le mérite d’avoir essayé de proposer des pistes de solution pour aider les Africains à avancer. En dix-sept chroniques, l’auteur analyse tour à tour les questions historiques liées à l’indépendance, l’afrocentricité, l’impact du féminin dans la culture africaine, la démission de la politique, le rôle des élites… Comme des chapitres d’un livre les chroniques disent quelque chose de ce qui les précède ou de ce qui les devancent.

 

 

Le livre ouvre, en premier lieu des lectures historiques qui conduisent à se replacer dans les débats déjà en cours. La référence à Haïti ou encore à l’indépendance en témoigne. Dans Buffalo Soldier, Bob Marley chante « If you know your history, then you would know where you coming from, then you wouldn't have to ask me. Who the heck do I think I am ». C’est le ton que prend l’auteur lorsqu’il évoque le souvenir des temps d’avant les indépendances, l’histoire d’Haïti qui peut être considéré comme la figure mère des "Afriques actuelles". Il invite les Africains à l’amour de la liberté et à la lutte pour sa sauvegarde. Sans oublier aussi la prise en compte de la rencontre de l’Afrique avec l’Occident qui fait incontestablement partie de l’histoire. S’il ne nous impose pas un retour en arrière, il nous invite cependant, avec ses mots d’écrivain-philosophe et de citoyen, à revisiter la pensée de quelques auteurs comme Chinua Achebe, Cheikh Hamidou Kane (avec l’idée de la critique de la raison impure), Bernard Dadié, Ayi Kwei Armah, Séry Bailly, Boa Thiémélé. À travers l’analyse de leurs œuvres, Guébo interroge l’héritage des indépendances. De ses soleils ? Pourtant comme le souligne le professeur A. Voho Sahi, « Il y a des sommeils parce que le soleil brille pour tous et que sa lumière, comme chez le philosophe, donne une variété de couleurs sans être susceptible elle-même de variété, il y a par contre, plusieurs façons de dormir » (Préface, p. 13). Il apparaît donc ici que la prise de conscience de nos sommeils a pour vocation de nous servir de tremplin pour la reconquête de la liberté.

 

 

 

Le deuxième thème est repéré concerne l’éloge de la fraternité intellectuelle. En rendant hommage à Kangni Alem écrivain togolais qu’il considère non seulement comme une référence, mais aussi comme « l’une des valeurs les plus sûres de la littérature togolaise  avec ses compatriotes Sami Tchak, Kossi Effoui, Théo Ananissoh», c’est à toute la communauté littéraire d’Afrique Noire que Josué Guébo rend hommage. Cet hommage fait écho aux propos du Pape Jean-Paul II sur la question de la fraternité : Nous sommes tous frères en humanité  et nous devons partager l’amour de nos sœurs et frères en humanité. Il est difficile à celui ou celle qui lit cette chronique, de s’exclure de cette fraternité. Le rêve est permis car chacun peut aussi, un instant, les yeux fermés, palper l’humanité d’un ainé en littérature ou dans la science. À travers cet hommage, c’est aussi finalement au Togo, « au-delà » du fleuve » que l’auteur rend hommage. Ce pays qui l’a accueilli dans ses instants d’exil, ce pays ami où il a noué de bonnes amitiés, pas simplement charnelles. Ce Togo est finalement l’Afrique. Cette fraternité intellectuelle est d’autant importante qu'à lire entre les lignes de l’auteur on comprend aisément que dans l’esprit de cette fraternité chacun ou chacune est appelé à se conduire comme le gardien ou la gardienne d’un frère ou d’une sœur, puisque toute fraternité doit s’ouvrir aux autres et résonner dans l’insolite existence intellectuelle de chaque « Écrivant africain ».

 

 

La troisième idée qui a retenu notre attention est celle de l’unité africaine ou de ce que nous avons appelé le « plaidoyer pour une modernité africaine ».  Dénonçant les dérives des pouvoirs Africains (endémies morales, passion immodérée du bien-être matériel…), l’auteur relève l’existence et la permanence des élites africaines dont les gouvernements ont du mal à se servir. Selon lui, le développement de l’Afrique dépend largement de la valeur que l’on accordera aux institutions éducatives, civiques et académiques. Telles sont bien les conditions qui aideront les africains d’assumer leur africanité. Guébo cible dix fondamentaux de la modernité africaine en concluant que la modernité dont l’Afrique a besoin est une modernité ouverte, c’est-à dire celle qui nous donne de valoriser notre identité et de nous ouvrir au changement. Se moderniser, écrit l’auteur « c’est épouser au présent sa vision d’avenir. C’est ajouter une plus value à ses propres conditions d’existence en demeurant, autant que faire se peut, soi ».  (p. 73)

 

 

En somme,

Chaque chronique, en acte, de ce recueil est un livre en puissance. Est-il un Évangile littéraire et philosophique doté de dix-sept bons chapitres ? Dix-sept livres de chaque ? L’avenir nous le dira. Toujours est-il que si Josué Guébo ouvre, dans un esprit de continuité, les vannes d’un immense débat, il n’est pas exclu que chacun ou chacune s’en approprie, car le penseur est comme cette femme-là qui dans la tradition africaine  endure les caprices de la grossesse et donne la vie, mais qui demeure consciente qu’elle ne devient pas la seule éducatrice de sa progéniture après l’accouchement. La richesse des questions soulevées invite chaque Africain à s’engager non pas dans une lutte physique ou encore dans une suite de revendications identitaires sans issue, mais dans un combat pour le respect de sa dignité, pour son autonomie intégrale et pour sa responsabilité. L’intérêt de ce livre est donc son caractère engageant et normatif pour aider chaque Africain/e à s’approprier son histoire et à lutter pour le développement intégral de cette partie du monde. C’est aussi ce qui rend le livre tout à la fois particulier et pertinent.

 

 

Pénélope Mavoungou

 

 

Références

Josué Guébo, Les sommeils des indépendances, Paris, l’Harmattan Côte d’Ivoire, 2015.

 

 

Petite biographie de l’auteur :

Josué Guébo est né en Côte D’Ivoire, à Abidjan. Docteur en histoire et philosophie des sciences, il est enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouet-Boigny d’Abidjan. Président honoraire de l'Association des écrivains de Côte -d'Ivoire, il est aussi membre de la Société Ivoirienne de Bioéthique, d’Épistémologie et de la logique. Il a été sacré Prix Tchicaya UTam’si pour la poésie africaine en 2014 avec son livre « Songe à Lampedusa »

 

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05/05/2016
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La question de la Tyrannie dans De Regno de Thomas d'Aquin

 

Saint Thomas d’Aquin (1225-1244), philosophe et théologien italien nous offre dans  De regno une véritable critique de l’autocratisme. Pour lui, « la tyrannie est le pire des régimes ». Nous suivrons sélectivement son argumentation en présentant les caractéristiques d’un tel régime, ses conséquences et comment il propose de s’en débarrasser. L’auteur pense clairement à partir des catégories bibliques et chrétiennes. A cet égard, les notions de péché et de châtiment éternel sont évoquées. Un tel ouvrage est pertinent car il est possible d’employer sa grille comme instrument critique contre les politiques rétrogrades d’Afrique Centrale. 

 

 

Le tyran et la prédation du bien commun

 

Le tyran se caractérise par un gouvernement injuste à travers lequel, il profite du bien commun dont il en fait une propriété exclusive. Saint Thomas le démontre dans une phrase limpide : « Plus un gouvernement s’éloigne du bien commun, plus il est injuste » ;  l’Aquinate poursuit en ces termes : « Un gouvernement est donc d’autant plus injuste qu’il s’éloigne davantage du bien commun. Or on s’éloigne plus du bien commun dans l’oligarchie, où c’est le bien d’un petit nombre qui est recherché, que dans la démocratie, où c’est le bien d’un grand nombre; et l’on s’éloigne davantage encore de ce bien commun dans la tyrannie où le seul bien d’un seul homme est recherché. En effet, le grand nombre est plus proche de l’universalité totale que le petit nombre, et le petit nombre qu’un seul individu. Le gouvernement du tyran est donc le plus injuste qui soit. » (Saint Thomas d’Aquin). Du point de vue moral, le tyran est cupide et il a un gouvernement arbitraire qui méprise le droit et la justice.

 

 

La tyrannie abêtit les populations

 

Saint Thomas mène sa critique de la tyrannie dans ses effets négatifs sur les populations assujetties. La tyrannie a un effet pervers sur les populations chez qui est entravé le sens du progrès moral.  Le tyran sème la division parmi la multitude. Son arme principale est la peur par l’usage de la terreur. Que dit Saint Thomas d’Aquin ? « Il est naturel aussi que des hommes nourris dans la crainte s’avilissent jusqu’à avoir une âme servile et deviennent pusillanimes à l’égard de toute œuvre virile et énergique, on peut le constater d’expérience dans les provinces qui furent longtemps sous la domination de tyrans. » (Saint Thomas d’Aquin). Le danger de la tyrannie est la production d’assujettis ; des peureux qui n’ont plus confiance en eux-mêmes et qui ploient en définitive sous la tyrannie d’une personne.

 

Le tyran abhorre le gouvernement par la raison il se comporte comme un animal. Il gouverne par la passion ; en cela, il est assimilé à une bête qui mange les plus faibles. Que dit Saint Thomas ?  « L’homme qui gouverne en rejetant la raison et en obéissant à sa passion ne diffère en rien de la bête, ce qui fait dire à Salomon (Ibid., XXVIII, 15) : "Un lion rugissant, un ours affamé, tel est le prince impie dominant sur un peuple pauvre." C’est pourquoi les hommes se cachent des tyrans comme des bêtes cruelles, et il semble que ce soit la même chose d’être soumis à un tyran ou d’être la proie d’une bête en furie. » (Saint Thomas d’Aquin).

 

 

 

La domination des tyrans n’est pas éternelle  

 

Un pouvoir odieux ne peut durer indéfiniment puisqu’il est exécré par la multitude. La capacité insurrectionnelle est toujours présente quand un tel gouvernement opprime la multitude. Ne pouvant pas compter sur la fidélité, le tyran règne par la crainte. Celle-ci est un fondement fragile. Le tyran n’a pas confiance. La peur qu’instille le tyran n’est pas éternelle car elle est vite muée en révolte contre les iniquités. « La crainte est un fondement débile. Car ceux qui sont sous l’emprise de la crainte, s’il arrive une occasion qui leur laisse espérer l’impunité, se révoltent contre ceux qui les commandent, avec d’autant plus d’ardeur que leur volonté était plus contrainte par cette seule crainte. De même une eau contenue par violence, s’écoule avec plus d’impétuosité quand elle a trouvé une issue. Mais la crainte elle-même n’est pas sans danger, car un grand nombre sous l’effet d’une crainte excessive sont tombés dans le désespoir. Or quand on désespère de son salut, on se précipite souvent avec audace vers n’importe quelles tentatives. La domination d’un tyran ne peut donc pas être de longue durée. » (Saint Thomas d’Aquin)

 

 

Quel sort faudrait-il réserver au tyran ?

Un royaume mérite de se prémunir contre la possibilité qu’a un roi de dégénérer. Cela requiert un choix discerné des personnes parmi lesquelles le choix de gouverner s’opère. « Il faut empêcher la royauté de se changer en tyrannie Puisque donc il faut préférer le gouvernement d’un seul, qui est le meilleur, et puisqu’il lui arrive de dégénérer en tyrannie, qui est le pire gouvernement, comme il apparaît d’après ce que nous avons dit plus haut, il faut travailler avec un zèle diligent à pourvoir la multitude d’un roi de telle sorte qu’elle ne tombe pas sous la domination d’un tyran. » (Saint Thomas d’Aquin)

Saint Thomas d’Aquin réfléchit à partir des catégories bibliques. Il énumère tout d’abord un choix mené selon ce que la personne choisie puisse ne pas déchoir dans la tyrannie. Cela passe par une décision discernée selon ce que Dieu veut : « D’abord, il est nécessaire que ceux à qui revient ce devoir élèvent à. la fonction de roi un homme tel qu’il ne soit pas probable qu’il tombe dans la tyrannie. C’est pourquoi Samuel, se confiant à la Providence de Dieu pour l’établissement d’un roi, dit au premier Livre des Rois (XIII, 14) : "Le Seigneur s’est cherché un homme selon son coeur." » (Saint Thomas d’Aquin)  « Ensuite, la direction du royaume doit être organisée de telle sorte, qu’une fois le roi établi, l’occasion d’une tyrannie soit supprimée. En même temps son pouvoir doit être tempéré de manière à ne pouvoir dégénérer facilement en tyrannie. Comment cela doit se faire, nous le considérerons par la suite. » (Saint Thomas d’Aquin)

 

Comment faudrait-il s’opposer au roi s’il tombe dans la tyrannie ? comment s’opposer à la tyrannie ?  Pour Thomas d’Aquin,  la tyrannie peut être tolérée si elle n’a pas d’excès ; certes, écrit Thomas d’Aquin, « pour un temps » ; il qualifie cette tyrannie de « modérée » ; il ne souhaite pas voir une opposition non discernée à un tyran, si cela entraîne des dangers énormes. S’opposer au tyran n’entraîne pas nécessairement la victoire sur lui ; et il sévira davantage. Pour Saint Thomas un tel échec entraînera de profondes dissensions au sein de la population.

 

Le tyran peut être renversé mais la réussite peut entraîner la division en factions rivales. Laissons la parole à Saint Thomas qui évoque également d’autres cas de résistance au tyran et les conséquences qui en découlent : « Et certes, s’il n’y a pas excès de tyrannie, il est plus utile de tolérer pour un temps une tyrannie modérée, que d’être impliqué, en s’opposant au tyran, dans des dangers multiples, qui sont plus graves que la tyrannie elle-même. Il peut en effet arriver que ceux qui luttent contre le tyran ne puissent l’emporter sur lui, et qu’ainsi provoqué, le tyran sévisse avec plus de violence. Que si quelqu’un peut avoir le dessus contre le tyran, il s’ensuit souvent de très graves dissensions dans le peuple, soit pendant l’insurrection contre le tyran, soit qu’après son renversement, la multitude se sépare en factions à propos de l’organisation du gouvernement. La multitude peut se défaire du roi ; mais selon quelle procédure ?  Une fois établi cette nuance de supporter le tyran pour cause de fidélité à l’évangile, pour Saint Thomas, « C’est l’autorité publique qui doit supprimer le tyran. Mais il semble que contre la cruauté des tyrans il vaut mieux agir par l’autorité publique que par la propre initiative privée de quelques-uns. » (Saint Thomas d’Aquin)

 

Pour chasser un tyran, « Il faut recourir à une autorité supérieure, s’il y a lieu ». pour le docteur angélique, Il faut aussi  recourir à Dieu, qui a pouvoir sur le tyran. Une question controversée est soulevée par une position de Saint Thomas ; en effet, il pense que « Dieu permet les tyrans pour punir le peuple » ; il le justifie avec des positions bibliques.  La tyrannie est la conséquence du péché du peuple hébreu. Cette position tient-elle ?

 

Saint Thomas s’interroge à partir de la terminologie chrétienne du « châtiment éternel » ; sera-t-il réservé au tyran ? laissons parler Saint Thomas d’Aquin : « Le tyran mérite le châtiment éternel. Le tyran est en outre privé de la béatitude la plus élevée, qui est due comme récompense aux rois, et, ce qui est plus grave, il se réserve le plus grand tourment comme châtiment. Si, en effet, celui qui dépouille un homme, le réduit en servitude, ou le tue, mérite le plus grand châtiment qui, quant au jugement des hommes, est la mort, quant au jugement de Dieu, la damnation éternelle, à combien plus forte raison faut-il penser que le tyran mérite les pires supplices, lui qui vole partout et à tous, qui entreprend contre la liberté de tous, qui tue n’importe qui pour le bon plaisir de sa volonté ? » (Saint Thomas d’Aquin) Saint Thomas, après avoir déconstruit la figure du tyran propose en retour un gouvernement où le roi emploie des valeurs constructives.

 

 

En somme, la critique thomiste de la tyrannie peut se lire en contexte et elle demande donc aux philosophes d’Afrique Centrale d’écrire des textes critiques à l’endroit de ce qui se passe en termes d’arbitraire ; et qu’ainsi, les générations à venir puissent éviter de sombrer dans ce jeu qui produit des citoyens peureux, incapables de se poser comme citoyens libres.  Ce livre parle à l’Afrique Centrale, il pourrait être employé comme instrument de critique de la politique comprise comme pouvoir à conserver par tous les moyens, y compris au mépris de l’éthique.

 

 

L’ouvrage est dense et il serait intéressant de s’interroger sur les pratiques dénoncées par Saint Thomas afin d’élaborer une véritable critique de l’arbitraire politique. A partir de ce livre il est possible de questionner à la fois l’accaparement du pouvoir politique qui se singularise par une prédation des biens et une résistance très souvent réprimée dans le sang.  Faut-il pour autant, mener un renversement des tyrans par des procédures institutionnelles s’ils ne parviennent pas à opérer ce qui est demandé d’eux ? La difficulté d’une telle question provient du caractère vide de la coquille institutionnelle que le tyran a la force de créer. Ainsi, le vote, l’assemblée, n’obéissent plus aux critères de la représentation du peuple mais ces instruments de choix sont galvaudés par des gens sensés représenter le peuple mais qui  ne se représentent qu’elles-mêmes.

 

Le livre est disponible :  http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/opuscules/20deregno.htm

 

Akono François-Xavier.

 

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27/04/2016
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Wemba chante la Renaissance africaine : Africain comme Toi

 

« FARAFINA

L’Afrique noire est son sceau ou son encre noire ; 

cette nation est le berceau de l'humanité

Tu n'as pas à te présenter ; juste ta couleur de ta peau identifie ta source

L'Afrique, notre continent est un superbe don de Dieu

La bonne terre, l'eau, la forêt, le bon air

Les oiseaux, toutes sortes d'oiseaux, les animaux et les poissons de toutes sorte

Tout cela pour nous Enfants d'Afrique.

Mangeons et ayons l'intelligence d'entretenir ce Don de la Providence nous a gratifiée.

 

 

Si tu ne défends pas ta terre

Quelqu'un d'autre, l'Étranger le fera à ta place

Des égoïstes qui ne regardent pas plus loin que leur ventre

Africa ! Africains !

Diviser pour mieux régner est leur devise, nous le savons…

Nous nous sommes tués, nous nous sommes divisés et éparpillés à cause de leur ingérence et leurs cancans (Kongossa)

 

 

Africa ! Africains ! 

Peau noire âme pure (blanche)

Refuser un conseil c'est assombrir le cœur

L'union fait la force, ils le savent

D'où leur désir irréversible de nous diviser

pour que nous ne soyons plus les mêmes

La solitude engendre la faiblesse

 

 

On ne coupe pas l'eau avec la machette

Mais lorsque le froid l'a gelé au point de la rendre dure comme pierre, elle se coupe

Tôt ou tard l'Afrique s'éveillera

Parole de Jules Shungu Wembadio

Africain comme toi

 

 

Africa ! Africain !

Ouvrons ensemble nos yeux pour démasquer le Haineux

Ils nous prennent pour des animaux ; ils n’ont que mépris pour nous ; 

Ils ne nous considèrent pas comme étant des êtres humains ;

Notre humanité ne passe pas à leurs yeux ;

Le sang des Africains est inutile à leurs yeux ;

Une attitude bien triste et c'est dommage : 

diviser pour mieux régner

Ils ont armé les mineurs

Eux en profitent pour Voler et Violer

Nos mères, nos sœurs et nos filles

Ils n'ont aucune conscience

Levons-nous et défendons l'Afrique

Nous finirons par vaincre

 

 

Que vive l’Afrique !

Papa Kimbangou est un Enfant d'Afrique

Madiba Nelson Mandela est Africain

Barack Obama est un Enfant d'Afrique

Bob Marley était un Africain

Martin Luther King, Zinedine Zidane, Mouamar Kadaffi, Kwame Nkrumah, Youssou Ndour, Manu Dibango, Myriam Makeba, Mwendo Kallé,  Franco, Alpha Blondy, Wendo, Kalé, Franco, Tabu Ley, Léopold Sédard Senghor, Héros  National Patrice Lumumba.»

 

 

J’ai poussé Natasha Pemba à traduire (pour vous) cette chanson de Papa Wemba feat Nana Kouyaté. quelques thèmes intervenant dans cette chanson : la critique de l’impérialisme ; la renaissance africaine, le racisme. On voit le Mwalimu qui lègue son testament à l’Afrique et au monde.   

 

François Xavier Akono

 

 


25/04/2016
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Politiques de l'inimitié - Achile Mbembe

Politiques de l’inimitié circule entre une immersion dans le « passé » des questions liées au mépris racial et une critique du « présent » tourmentée par le terrorisme et le contreterrorisme. Ces deux dimensions du temps sont mises en scène par la question de la violence. Achille Mbembe réfléchit sur le soin psychiatrique chez Frantz Fanon, à l’ombre duquel il élabore une relecture critique de l’histoire de l’humanité. Le livre a été conçu en toute liberté qui permet au lecteur d’entrer par la porte de son choix. De ce fait le lecteur ou la lectrice peut circuler dans cette œuvre dense qui offre une occasion de méditer à la fois sur ce qui se passe ; (autrement dit, « penser l’événement » dans le sens harendtien) et évaluer ses racines historiques. Les démocraties libérales sont questionnées dans leur face-à-face avec le terrorisme. Le contreterrorisme qui en résulte évacue-t-il à son tour le refus du droit ?

 

 

L’introduction du livre, intitulée, « l’épreuve du monde », est un porche qui présente succinctement l’argumentation de l’ensemble. La réflexion de Mbembe porte «sur la reconduction à l’échelle planétaire de la relation d’inimitié et ses multiples reconfigurations dans les conditions modernes. Le concept platonicien de pharmakon – l’idée d’un médicament qui opère à la fois comme remède et comme poison – en constitue le pivot. S’appuyant en partie sur l’œuvre politique et psychiatrique de Frantz Fanon, l’on montre comment, dans le sillage des conflits de la décolonisation, la guerre (sous la figure  de la conquête et de l’occupation, de la terreur et de la contre-insurrection) est devenue, au sortir du XXe, le sacrement de notre époque » (p. 8)

 

Comment argumente-t-il pour démontrer le fait que guerroyer caractérise notre temps ?

 

 

L’ouverture du chapitre 1 intitulé « La sortie de la démocratie », formule la visée du livre. « L’objet de ce livre est de contribuer, à partir de l’Afrique où je vis et travaille (mais aussi à partir du reste du monde que je n’ai eu de cesse d’arpenter), à une critique du temps qui est le nôtre–le temps du repeuplement et de la planétarisation du monde sous l’égide du militarisme et du capital et, conséquence ultime, le temps de la sortie de la démocratie (ou de son inversion) » (p. 17)

 

La déconstruction qui est la méthode employée sous-entend toutefois l’inexistence d’un point de vue de surplomb, en récusant un « universalisme abstrait » (p. 17) et conquérant. Nos discours sont forcément « provinciaux »

 

Par sa plongée dans le passé du mercantilisme Achille Mbembe examine la part honteuse  de ce système : « aussi bien le commerce négrier que la colonisation coïncidèrent en grande partie avec la formation de la pensée mercantiliste en Occident, quand ils n’en furent pas purement et simplement aux origines. Le commerce négrier fonctionnait à l’hémorragie et à la ponction des bras les plus utiles et des énergies les plus vitales des sociétés pourvoyeuses d’esclaves. » (p. 18). Un commerce de dupe qui conduit à s’interroger. Car, « la démocratie à esclaves » est « une démocratie raciste » (p. 29) Pouvait-on affirmer que la démocratie américaine où se juxtaposaient « les semblables » et les « non semblables » était une démocratie ? Quelle est cette démocratie qui employait le lynchage et qui tenait à l’écart « l’esclave-marchandise » dont elle profite néanmoins ? Car il est évident que la plantation profite aux personnes qui ont de l’argent et le multiplient. Il a fallu institutionnaliser l’injustice pour jouir. Cela, par l’imbrication entre la colonie, la démocratie et la plantation (p. 32). Une telle intrication, part du constat empirique, de la condition nègre : « être né aux États-Unis (cas de 90 % d’entre eux en 1860) ou procéder d’une descendance mixte (13% d’entre eux à la même période) ne change rien à l’état de bassesse auquel ils sont réduits, ni à l’ignominie dont ils sont frappés, et qui est transmise de génération en génération, sous la forme d’un héritage empoisonné » (p. 28) Mbembe évoque aussi  les différentes critiques de la démocratie en provenance de l’anarchisme, du socialisme et du syndicalisme.

 

Comment ne pas évoquer l’Afrique où l’on constate tout simplement, la reconduction de la violence du colonat dans les temps des partis uniques et iniques et des pseudo démocraties ?

 

Dans ce continent, la terreur étatique, s’est caractérisée comme une répression de la contestation ; les potentats emploient  « une répression tantôt sournoise, tantôt expéditive, brutale, sans retenue » (p. 51) à travers des emprisonnements, arbitraires, des fusillades ignobles, une instauration de l’état d’exception, et d’autres formes de  « coercition économique » (p. 51). En plus de cette pratique de la répression, « les luttes politiques ont eu tendance à être réglées par la force, la circulation des armes au sein de la société devenant l’un des principaux facteurs de division et un élément central dans les dynamiques de l’insécurité » (p. 52). L’État n’a plus la propriété de la « violence » puisque plusieurs acteurs le lui discutent. Le chapitre examine surtout le fait que les démocraties libérales, confrontées au terrorisme sortent d’elles-mêmes et ainsi emploient la violence pour faire face à la violence.

 

 

Le chapitre 2 s’intitule, « la société d’inimitié ».

Ce monde « décidément, est à la séparation, aux mouvements de haine, à l’hostilité et, surtout à la lutte contre l’ennemi, en conséquence de quoi les démocraties libérales, déjà fort lessivées par les forces du capital, de la technologie, sont aspirées dans un vaste processus d’inversion » (p. 62).

 

Achille Mbembe emprunte le concept d’inimitié à Carl  Schmitt. Dans notre monde actuel, ce concept « renvoie à un antagonisme suprême » (p. 70). L’ennemi est présent et on développe de la haine contre lui. L’ennemi est celui qui fait peur et qui affole. « L’objet affolant ». « Hier, ces objets avaient pour noms privilégiés, le Nègre et le Juif. Aujourd’hui Nègres et Juifs ont d’autres prénoms - l’islam, le musulman, l’Arabe, l’étranger, l’immigré, le réfugié, l’intrus, pour n’en citer que quelques-uns » (p. 62.). Il prend le soin de préciser que les démocraties libérales sont hantées par le « désir d’apartheid » ; elles se singularisent par des procédés de séparation et du repli sur soi. De là prospère le racisme décomplexé et gaillard. De cette idée de séparation, se perçoivent les pratiques israéliennes contre les palestiniens. C’est le refus de vivre ensemble côte à côte comme dans le cas du colonat. En clair, il faut comprendre que ce désir d’apartheid se complexifie davantage avec le surgissement du terrorisme et du contreterrorisme.

 

 « Quant à la guerre chargée de vaincre la peur, elle n’est ni locale, ni nationale, ni régionale. Sa surface est planétaire et la vie quotidienne son théâtre privilégié d’action. » (p. 77). Il faut donc comprendre par là que la guerre devient permanente contre un ennemi qui du dehors ou en dedans menace et frappe. Ce qui est palpable et observable, est la capacité de nuisance où des gens décident de se supprimer en supprimant des membres de la communauté qu’ils exècrent. Les sociétés occidentales subissent-elles la loi du Talion, du fait de leur fomentation des guerres loin de la vie de leurs citoyens ?

 

Pour Mbembe, « le nanoracisme hilare et échevelé, tout à fait idiot, qui prend plaisir à se vautrer dans l’ignorance et revendique le droit à la bêtise et à la violence qu’elle fonde – tel est donc l’esprit du temps » (p. 87), temps dominé par les débats futiles entre autochtonie et « allogènité » ; mais temps du monde pluriel. « La question de l’appartenance demeure entière. Qui est d’ici et qui ne l’est pas ? Que font chez nous ceux et celles qui ne devraient pas s’y trouver ? Comment s’en débarrasser ? Mais que veut dire « ici » et « là-bas » à l’ère de l’entrelacement de mondes mais aussi de leur rebalkanisation ? » (p. 89) 

 

 

Le chapitre 3 s’intitule, « Pharmacie de Fanon ».

L’auteur relit la pensée de Fanon en une double perspective. Il écrit, à cet effet, que « l’on s’attaque directement à la tension entre le principe de destruction – qui sert de pierre angulaire des politiques contemporaines de l’inimitié – et le principe de vie ». Par conséquent Achille Mbembe s’intéresse à la pensée fanonienne relative à la décolonisation. Dans quelle mesure la violence peut-elle être un travail qui débouche « sur le principe de vie » (p. 92) et par là rendre possible « la création du neuf » (p. 92).  Pour Fanon, la violence est nécessaire ; car elle permet de s’attaquer au « système colonial » (p. 107) ainsi qu’à tous les « systèmes d’inhibition » qui fabriquent la peur, les sentiments d’infériorité ; cela dans l’objectif de parvenir à la création « d’autres formes de vie » (p. 107).  Le principe destructif caractérise le monde de la guerre.

 

Le chapitre analyse surtout les différentes formes de racisme qui produisent des souffrances chez les colonisés blessés traumatisés. Cet autrui dominé se sent dans « une position instable » (p. 111) ; malgré cela, le nègre fait peur. Dans l’imaginaire colonial, il est d’abord un agresseur. « Objet effrayant, il éveille la  terreur » (p. 114). La reconstruction de soi comme sujet demande d’opter pour une culture du refus de la soumission. « Le sujet fanonien  (…) naît au monde et à soi à travers ce geste inaugural qu’est la capacité de dire non. Refus de quoi sinon de se soumettre, et d’abord à une représentation. Car dans les contextes racistes, « représenter » est la même chose que « défigurer ». La volonté de représentation est au fond une volonté de destruction.» (p. 118). Faire face demande de s’organiser contre ce qui opprime.

 

Dans ce contexte algérien colonial violent, Fanon exerce sa relation de soin. Il traite les dépressifs et ceux qui ont un sentiment de perte. Fanon s’intéressait aux victimes produites par la société d’inimitié, l’impuissance sexuelle des gens, les femmes violées, les personnes victimes de la torture, les anxieux, les tueurs et les tortionnaires, des orphelins, ou des gens ayant perdu un membre de famille, des français et des algériens ; les gens à la lisière du désespoir, etc. Il s’intéressa aux gens souffrant de troubles mentaux et de troubles psychiques. Fanon voulait surtout aider le malade en vue de le « rétablir dans son être et dans ses relations avec le monde » (p. 125) ; ce qui nécessite tout un travail d’accompagnement de la personne malade.

 

La lecture de Fanon permet à Mbembe de proposer une « éthique du passant », pour ramer à contre courant de l’univers de la violence, l’auteur propose de « devenir-homme-dans-le-monde » (p. 176). Vouloir décider d’être humain, revient à « apprendre à passer constamment d’un lieu à un autre » (p. 176) dans des vécus de « solidarité et de détachement » (p. 177).

 

 

En somme, Politiques de l’inimitié renvoie l’humanité à faire une révision de vie si elle veut vivre harmonieusement dans la rencontre des différents faisceaux constitutifs du monde des humains.

 

 

Akono François-Xavier.

 

 

Références

 

Achille Mbembé, Politiques de l'inimitié, Paris, Éditions la Découverte, 2016.

 

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12/04/2016
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