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Mépris social. Ethique et politique de la reconnaissance d'Emmanuel Renault

 

 

 

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Mépris social. Ethique et politique de la reconnaissance
d’Emmanuel Renault est porté par des questions sociales. Les thèmes de la reconnaissance et du mépris sont examinés à partir des questions directrices suivantes, traitées en quatre chapitres : Qu’est-ce que la reconnaissance ? Qu’est-ce que le déni de reconnaissance ? Qu’est-ce que le mépris ? Ne faudrait-il pas faire le diagnostic et dénoncer deux formes de « mépris social » (p. 17), à savoir, « le déni de reconnaissance qui consiste en une négation de la dignité » (p. 17) ce qui est l’objet du chapitre 2) ; et « le déni de reconnaissance qui consiste en une négation de l’identité » (p.17 ; objet des chapitres 2 et 4). 

 

 

Le chapitre 1 relit l’histoire de la philosophie en vue de dégager le lien entre politique et morale. L’auteur interroge Karl Marx, Kant et Hegel.  Axel Honneth est largement commenté dans son ouvrage thématique sur le thème de la reconnaissance.  

 

Pour Marx, la conflictualité constitue la nature du politique ; sa nature n’est donc pas le bien commun. La politique ne se réduit pas au domaine institutionnel. Elle s’ouvre aussi dans les lieux où l’exploitation sévit. Il revient surtout d’interroger les sphères où la domination est vécue. La morale peut être au service de l’idéologie de domination, d’où l’intérêt à la questionner.  Marx a également questionné « l’hypocrisie morale » (p. 25), « celle qui demande aux plus démunis d’agir d’après le mode de vie des dominants » (p. 25). Le sujet prétend être moral tout en demandant à celui qui souffre de se dé-merder. Renault évalue de manière critique la théorie de Marx. Pour lui, elle est certes pertinente du point de vue critique, mais « elle ne suffit plus pour la construction politique d’une alternative » (p. 27). Les luttes des classes sont-elles réellement portées par « une perspective émancipatrice » (p. 27.)? 

 

Kant soutient que la politique doit trouver son principe dans la morale. Cette perspective n’est pas acceptée par Hegel. La politique va plus loin qu’une simple application des normes morales.  Pour Hegel, « La véritable valeur morale se trouve dans la concrétisation des normes morales par l’action, en effet, les normes morales ne valent pas pour elles-mêmes, mais seulement pour leur concrétisation pratique» (p. 33) En fait, « la morale doit définir les conditions qui permettent à un individu de donner le plus de valeur possible à son existence. Or, notre existence n’a véritablement de valeur que si nous parvenons à vivre en fonction des règles que nous nous donnons à nous-mêmes, que si nous parvenons à l’autonomie et à l’autodétermination, c’est-à-dire à la liberté véritable » (p. 33). D’après Hegel, « c’est seulement dans l’Etat que l’individu peut accéder à cette autonomie véritable, car c’est seulement en tant que citoyen qu’il peut contrôler les conditions sociales de son existence, prendre conscience de la valeur sociale de ses différentes activités et accéder à la compréhension du sens de sa vie » (p. 34). 

 

Une question essentielle est soulevée dans cet opuscule : 

« Que faire quand les conditions sociales d’une vie décente ne sont pas remplies ? Ne faut-il pas repartir de principes moraux pour élaborer une critique intransigeante de l’ordre existant ? N’est-ce pas la morale et elle seule qui permet de dénoncer les situations rendant une vie bonne impossible? » (p. 34.)

 

 

Le chapitre 2 commence par une énonciation des conditions de l’action morale qui impliquent le sujet. Cette action obéit à trois facteurs : (1) l’estime de soi ; le sujet est en mesure de penser que son action « dépend de lui »(2) ; et qu’en (3) « elle, doit se lire sa propre valeur » (p. 37). Ces conditions qui sont axées sur l’autonomie n’impliquent-elles pas une dimension sociale ? Il y a un lien entre « le rapport positif à soi » (p. 39)  et la reconnaissance. A partir de ce rapport s’enracine la possibilité de comprendre les injustices qui touchent douloureusement l’identité du sujet. « Le point essentiel est que le rapport positif à soi est intersubjectivement constitué, et de ce fait, qu’il est intersubjectivement vulnérable » (p. 41). 

 

La méconnaissance et le « déni de reconnaissance » (p. 41) affectent durement le sujet dans ses rapports avec autrui. « "Si les jeunes de banlieues "exigent si souvent le respect , s’ils posent aujourd’hui la question de la reconnaissance, ce n’est pas par un effet de mode mais parce qu’ils souffrent effectivement d’un déni de reconnaissance, d’un défaut de respect structurel, c’est parce qu’ils souffrent d’un mépris qui n’est pas seulement individuel, mais qui est bien social et qui s’explique par le fait que la crise sociale ne permet plus aujourd’hui aux institutions, aux lois et aux usages sociaux d’assurer les conditions de la reconnaissance réciproque des individus dans l’interaction » (p. 44)

 

Les blessures peuvent conduire à la révolte. Le mépris dans sa dimension sociale touche « aux conditions sociales et institutionnelles du déni de reconnaissance » (p. 44).  « La révolte qui suit le déni de reconnaissance n’est pas toujours moralement justifiée, mais elle relève néanmoins toujours d’une lutte pour la reconnaissance, et de ce fait, elle possède toujours un noyau normatif. Elle exprime en effet une exigence légitime : celle d’un rétablissement des conditions du rapport positif à soi et d’un minimum d’autonomie » (p. 45). Pour l’auteur, « la reconnaissance ne définit pas seulement le contenu normatif des révoltes urbaines : elle définit les normes des luttes sociales et politiques en général »(p. 45). La révolte est souvent due au fait que certains s’estiment lésés et qu’ils ont l’impression de subir des formes de domination. La protestation vient de ce qu’un sentiment d’injustice soit réellement éprouvé. 

 

 

Le chapitre 3 s’intitule « morale et politique de l’identité » ; il commence par une réflexion sur la pensée de Habermas. Emmanuel Renault va plus que lui, en fondant l’éthique de la reconnaissance, non pas au niveau d’une communauté langagière qui s’entend sur les normes mais sur l’intersubjectivité vécue dans des rapports humanisés. 

 

« Les présuppositions de l’éthique de la reconnaissance sont anthropologiques, tout comme ses objectifs : la construction d’une anthropologie de la morale et de la politique. Son objet spécifique est le rapport positif des individus à eux-mêmes qui, sous sa forme concrète, est le rapport qu’ils entretiennent avec leur propre identité » (p. 76).  L’auteur invite à penser une double direction de l’éthique de la reconnaissance : « construire une morale de l’identité et à rapporter la politique aux questions d’identité »(p. 76). « Le déni de reconnaissance » (p. 77), c’est refuser de reconnaître sa dignité à une personne. Désirer être reconnu dans sa dignité revient aussi à vouloir être reconnu dans son identité. La personne qui vit dans un univers social est-elle portée par son identité ; et si elle n’a donc pas de rôle social, n’existera-t-elle pas ? 

 

Quelle est la perception qu’a l’auteur de l’identité ? « Qu’est-ce qu’en effet l’identité personnelle, sinon l’ensemble des représentations durables de soi-même en quoi consiste la représentation de la valeur de notre propre existence ? Notre identité c’est l’ensemble des caractéristiques qui, pour nous, constituent notre essence, l’ensemble de caractéristiques dont nous croyons qu’elles nous engagent pour notre vie entière ou pour une durée non négligeable de celle-ci, et qu’elles font la valeur de notre vie. C’est dans notre identité que, pour nous, se joue la valeur de notre vie, et celle qu’il nous faut faire reconnaître si l’on veut faire reconnaître notre valeur » (p. 78). Pour Emmanuel Renault, l’identité renvoie à la reconnaissance. (p. 78) dans un rapport intersubjectif entre moi et autrui.  Pour lui, il s’agit pour le sujet de « faire reconnaître les différentes identités » dans ses facettes multiples ont un rapport harmonieux. (p. 84). Un licenciement perturbe par exemple la personne dans son vécu social mais il l’atteint dans son identité personnelle. 

 

 

Le chapitre 4 précise une compréhension du mépris social. Il « peut prendre deux grandes formes (qui relèvent elles aussi de types idéaux admettant toute sortes de combinaisons : celle de la domination culturelle, qui toujours s’impose une image dépréciée de soi-même, et celle que nous nommerons la fragilisation de l’identité, c’est-à-dire de la tendance interdisant aux individus de voir confirmée leur identité » (p. 117.) La domination culturelle (p. 117) s’expérimente par exemple dans le colonialisme. C’est le fait d’imposer ses manières de voir et de faire à d’autres groupes qui ont les leurs ; et chez qui, à terme, l’on produit une « image dépréciée » (p. 117) de ses membres, chez qui le dominant veut faire acquérir des sentiments d’infériorité. L’on pourrait aussi s’interroger sur ce qui pourrait fragiliser l’identité personnelle dans un contexte de diversité. 

 

 

Le livre est intéressant car il permet de penser les questions difficiles de la discrimination raciale, la souffrance pour cause de mépris identitaire. Les immigrés peuvent-ils voter ? Qu’en est-il des sans-papiers exploités par les sociétés occidentales ? 

 

 

François-Xavier Akono.  

 

 

Références du livre:

-Emmanuel Renault, Mépris social. Ethique et politique de la reconnaissance, Éditions du Passant, 2004

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21/03/2016
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