Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

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Laïcité et liberté de conscience: Jocelyn Maclure et Charles Taylor

 

 

Laïcité et Liberté de Conscience de Jocelyn Maclure et de Charles Taylor a été publié pour la première fois en 2010. Il est issu de la participation des deux philosophes québécois à la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles au Québec dont ils ont été les rédacteurs du Chapitre 7. L’une des principales particularités du livre c’est qu’il s’ancre dans la réalité de terrain à travers l’exemple de la laïcité dans son expression québécoise plus notamment. Cet ancrage constitue donc à la fois la simplicité et la rigueur de l’ouvrage car il dépasse les simples conclusions du rapport pour embarquer le lecteur dans une dimension à la fois historique, philosophique, juridique et sociétale. Dès l’introduction les auteurs n’hésitent pas à soulever le caractère complexe du mot Laïcité : « (…) La laïcité est complexe, car elle est faite d’un ensemble de finalités et d’arrangement institutionnels » (p. 11). En outre, chez eux la question de la Laïcité ne peut se limiter à des questions de religion. Elle est plus large.

 

 

Le livre comprend deux parties et onze chapitres.

 

 

Ce qu’il faut savoir sur la Laïcité

 

 

La Laïcité, nous rappellent les auteurs, est une question de neutralité qui ne privilégie aucune religion. Pour qu’elle ne tourne pas en un privilège il faut de la part de l’État qui se dit Laïque des pré-requis comme l’impartialité. En mettant face à face la neutralité de l’État et la question du pluralisme moral, l’objectif est de faire comprendre que dans la mesure où c’est l’égal respect et la liberté qui président dans une société démocratique, les différentes visions du monde qu’elles soient de l’ordre de la foi, de la tradition ou de la morale ne doivent jamais influencer la décision et le rôle de l’État. Seulement cela ne signifie pas que l’État doit les occulter, car « la question de la Laïcité doit (…) être abordée dans le cadre de la problématique plus large de la nécessaire neutralité de l’État par rapport aux multiples valeurs, croyances et plans de vie des citoyens dans les sociétés modernes ». (p. 19). L’État est souverain et ne doit prendre position sur aucune valeur parce que son rôle est de transcender toute croyance pour privilégier le dialogue démocratique. De ce fait, devant le pluralisme des groupes ou des individus, seule la neutralité de l’État peut favoriser le vivre-ensemble et permettre la participation de tous dans la sphère publique.

 

 

 

Qu’est-ce que la Laïcité ?

 

« La laïcité est l’une des modalités du régime de gouvernance permettant aux États démocratiques et libéraux d’accorder un respect égal à des individus ayant des visions du monde et des schèmes de valeurs différents » (p. 29). Selon Maclure et Taylor, la Laïcité repose sur deux grands principes à savoir, l’égalité de respect et la liberté de conscience. Deux modes opératoires permettent de réaliser ces principes. Premièrement la séparation de l’Église et de l’État ; deuxièmement la neutralité de l’État. Ils insistent par ailleurs que ces modes opératoires sont indispensables pour la réalisation de la Laïcité. Le premier principe est un guide pour l’attitude de l’État Laïque. Il lui permet de se placer au-dessus des particularismes pour dire le droit, la démocratie et la dignité humaine.

 

 

 

Les régimes de la Laïcité

 

Pour déterminer un régime de la Laïcité, les auteurs estiment qu’il faut tenir compte de leur connexion avec la « pratique religieuse ». De ce fait la laïcité peut être radicale ou non, « rigide », « sévère » ou non ; « souple », « ouverte » ou non. Cela dépend de la manière dont elle se comporte devant une situation donnée (par exemple la visibilité d’un signe religieux dans certains lieux par exemple). Partant, il existerait donc deux régimes de la Laïcité : le régime républicain et le régime libéral pluraliste.

 

 

Le premier « attribue à la laïcité la mission de favoriser, en plus du respect de l'égalité morale et de la liberté de conscience, l'émancipation des individus et l'essor d'une identité civique commune, ce qui exige une mise à distance des appartenances religieuses et leur refoulement dans la sphère privée » (p. 46). Il se focalise prioritairement sur les modes opératoires qui deviennent non plus seulement des moyens mais des valeurs à savoir la neutralité et la séparation de l’Église et de l’État. C’est le cas de la Laïcité dans sa formule française. Ce qui est mis en avant ici c’est la relation de la religion avec l’espace public et l’espace privé, car la religion y est invitée à garder sa place dans la sphère privée.

 

 

Le second (libéral pluraliste) « voit quant à lui la laïcité comme un mode de gouvernance dont la fonction est de trouver l'équilibre optimal entre le respect de l'égalité morale et celui de la liberté de conscience des personnes » (Ibid.). Ici ce qui est fondamental ce sont les principes de l’égal respect et de liberté de conscience. C’est le cas de la Laïcité dans sa formule québécoise qui ne focalise pas son discours sur la présence ou non du religieux dans l’espace public, mais qui visant l’équité et le respect de la liberté des consciences va avoir recours aux « accommodements raisonnables pour régler un contentieux ».

 

 

In fine, ce régime de laïcité vise « la conciliation optimale de l’égalité de respect et de la liberté de conscience » (p. 37)

 

 

 

Le public et le privé

 

La thématique du public et du privé est au cœur de la question de la Laïcité dans les sociétés démocratiques. C’est un couteau à double tranchant parce que si elle est le lieu du problème, elle est aussi le lieu de la solution. C’est comme l’écrit Pierre Manent, « le lieu  stratégique où se nouent leurs difficultés, leurs drames et aussi leurs possibilités (…) », (Manent, p. 69). Après avoir donné le sens de « Public » selon l’Antiquité et selon le siècle des Lumières, les deux auteurs du livre démontrent que le problème de la Laïcité avec l’espace public viendrait peut-être de ce double sens où finalement le problème de la neutralité peut être vu sous deux angles où l’on choisirait soit de tolérer le signe religieux dans l’espace public, soit d’en interdire l’ostentation.

 

 

Somme toute les auteurs reconnaissent le caractère général et donc imprécis de cette distinction public-privé pour pouvoir « évaluer la place de la religion dans l’espace public » (p. 54), car là où existe véritablement la liberté d’expression, chercher à limiter la religion dans l’espace privé relèverait soit de l’utopie soit de la dictature mentale.

 

 

 

La question des accommodements raisonnables

 

Commençons par nous souvenir que la liberté de conscience avec l’égal respect fait partie des principes de la Laïcité. Dans la deuxième partie qui se focalise précisément sur la liberté de conscience, les auteurs reconsidèrent avec soin le deuxième régime de la Laïcité qui est la Laïcité pluraliste en partant du modèle québécois. Après un bref rappel de la liberté de religion qui est inscrit dans les documents juridiques nationaux et internationaux, les auteurs soulignent que la «  liberté de religion inclus la liberté de pratiquer la religion » (p. 83). Pourtant il n’est écrit nulle part que cette liberté permet les accommodements des différentes situations. Se pose ainsi la question de ce qu’il faut accommoder, mais surtout celle de savoir pourquoi faut-il accommoder les croyances alors que les personnes, avec handicap physique ou mental, par exemple vivent leur handicap comme si de rien n’était. Selon Jocelyn Maclure et Charles Taylor les accommodements raisonnables reposent sur deux grandes prémisses qui justifient leur pertinence : « 1) les règles qui font l'objet de demandes d'accommodement sont parfois indirectement discriminatoires à l'endroit des membres de certains groupes religieux ; 2) les convictions de conscience, qui incluent les croyances religieuses, forment un type de croyances ou de préférences subjectives particulier qui appelle une protection juridique spéciale » (p. 93). Ces deux règles réunies permettent de comprendre que dans l’adoption d’un accommodement raisonnable ce qui compte ce n’est pas d’adapter chacune des situations, mais plutôt celles qui sont nécessaires à la construction sociale et qui n’empiètent pas l’idéal des démocraties  c’est- dire celles qui  permettent de « donner un sens et une direction » (p.97) à la vie d’un citoyen et « permettent de structurer son identité morale et d'exercer sa faculté de juger dans un monde où les valeurs et les plans de vie potentiels sont multiples et entrent souvent en concurrence » (Ibid.). On ne peut donc accommoder ce qui relève d’un goût, d’un plaisir personnel ou d’un désir.

 

 

 

L’Avenir de la Laïcité

 

La Laïcité n’est pas le laïcisme, ou une sorte de cloison dorée réservée aux initiés ayant atteint un certain degré de puissance. Elle ne s’enferme donc pas exclusivement dans des déclaration propagandistes de type « séparation de l’Église et de l’État » ou encore « la neutralité de l’État à l’égard des religions » ou bien « la sortie de la religion de l’espace public ». Ces formules peuvent dire quelque chose de la Laïcité, mais il n’y a pas que cela, car « la Laïcité repose plutôt sur une pluralité de principes ; chacun remplissant des fonctions particulières » (p. 29). Les acteurs démocratiques devraient apprendre à privilégier, à côté des problèmes de distribution économique à tenir compte des diversités humaines, sociales, religieuses, morales et culturelles de l’individu des temps démocratiques d’autant plus que la diversité est inhérente à toute société démocratique. La religion étant une vision du monde comme d’autres visions, il n’est pas nécessaire de l’isoler en la confinant dans l’espace privé.

 

 

La question de la Laïcité dans les sociétés démocratiques et libérales étant en soi une question complexe, il est clair que pour qu’elle essaie de ne pas dégénérer en haine de la religion, qu’elle tienne compte de certaines circonstances et apprennent à s’adapter des fois. Les auteurs l’ont démontré à la fin de leur livre. La question des accommodements raisonnables est aussi complexe que celle de la Laïcité car elle se heurte à la multiplication des demandes. Doit-on tout aménager ? De nos jours avec les extrémismes religieux qui ne laissent désormais personne indifférent l’on se demande sans cesse si les gouvernements en fonction des demandes d’accommodement de la laïcité succomberont au piège de la manipulation du signe ou de la présence ou encore des habitudes religieuses qui n’ont aucun impact social. Et si les religions et autres valeurs traditionnelles et culturelles s’adaptaient ?

 

 

La question reste ouverte à tous, mais pour les auteurs, envers et contre tout et parce qu’ils raisonnent d’abord en tant que philosophes, soucieux de la liberté de l’individu rationnel et responsable, « ce ne sont pas les convictions religieuses en soi qui doivent jouir d'un statut particulier, mais bien l'ensemble des croyances fondamentales qui permettent aux individus de structurer leur identité morale » (p. 115-116). Étant donné que la dynamique libérale rime avec la question de la souveraineté de l’individu, l’un des vrais problèmes de la Laïcité de nos jours est réellement le problème de la liberté de l’individu, de comment l’État Laïque permet à l’individu de se déployer dans un conditionnement qui tienne compte de l’égalité, de la liberté  et des diversités.

 

 

 

La laïcité ou l’histoire d’une résistance.

 

Résistance à quoi ? À l’uniformité. La laïcité, dans son principe n’est ni conformiste ni tyrannique. Elle refuse de s’enfermer dans une définition prête à porter. Sa vocation porte en elle une capacité à s’adapter. En théologie, on parlerait d’inculturation autrement dit la capacité d’adapter quelque chose (Évangile chez les Chrétiens) dans dans une culture donnée. Ce qui n’est ni « acculturation » et encore moins « Inculte » mais plutôt incarnation d’un modèle dans les différents modes de vie et dans la gouvernance d’une démocratie qu’elle soit républicaine ou pluraliste.

 

 

Au terme de notre recension, nous sommes tentées de poser la question suivante : Doit-on réformer ou corriger la Laïcité ? Ce livre a été écrit il y a exactement six ans et nous démontre que la Laïcité est aussi l’histoire d’un dialogue permanent. Il vient d’être réédité en 2016. Il demeure d’une pertinence inégalable encore aujourd’hui car la question de la religion et de sa place dans l’espace public démocratique est d’une acuité ineffable. On ne pourra pas nier que ce livre, comme tout livre a ses limites et nous laisse dans des questionnements multiples, cependant l’une de ses originalités c’est qu’il représente pour les penseurs de notre époque une sorte de Galerie contemporaine des questions démocratiques de la religion et de la Laïcité. Pour une Laïcité ouverte, Maclure et Taylor jugent essentiel l’alliance réelle de l’éthique avec le politique.

 

 

 

 

Pénélope Mavoungou

 

 

Références :

 

Jocelyn Maclure et Charles Taylor, Laïcité et liberté de conscience, La Découverte, coll. « La Découverte », 2010, 164 p., EAN : 9782707166470.

Jocelyn Maclure et Charles Taylor, Laïcité et liberté de conscience, Montréal, Boréal, 2010, 164p.,

Pierre Manent,  Intérêt privé, intérêt public, « L’actualité de Tocqueville », CPPJUC, N°19, Caen, 1991, p. 69-71.

 

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24/05/2016
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