Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

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Les Sommeils des Indépendances de Josué Guébo

Les sommeils des indépendances de Josué Guébo est un recueil de chroniques paru en 2015 aux éditions l’Harmattan Côte d’Ivoire. L’ouvrage apporte de nouvelles idées sur  les questions de l’identité africaine, des modalités de penser et d’envisager l’afrocentricité. L’auteur suggère non seulement des moyens pour repenser les questions africaines, mais aussi les concepts de cette vision africaniste africaine de l’Afrique du XXIe siècle. De ce fait son travail porte non seulement sur les évolutions inhérentes à la politique et à l’organisation africaine mais aussi sur l’avenir de ce continent. Vaste travail, mais il a le mérite d’avoir essayé de proposer des pistes de solution pour aider les Africains à avancer. En dix-sept chroniques, l’auteur analyse tour à tour les questions historiques liées à l’indépendance, l’afrocentricité, l’impact du féminin dans la culture africaine, la démission de la politique, le rôle des élites… Comme des chapitres d’un livre les chroniques disent quelque chose de ce qui les précède ou de ce qui les devancent.

 

 

Le livre ouvre, en premier lieu des lectures historiques qui conduisent à se replacer dans les débats déjà en cours. La référence à Haïti ou encore à l’indépendance en témoigne. Dans Buffalo Soldier, Bob Marley chante « If you know your history, then you would know where you coming from, then you wouldn't have to ask me. Who the heck do I think I am ». C’est le ton que prend l’auteur lorsqu’il évoque le souvenir des temps d’avant les indépendances, l’histoire d’Haïti qui peut être considéré comme la figure mère des "Afriques actuelles". Il invite les Africains à l’amour de la liberté et à la lutte pour sa sauvegarde. Sans oublier aussi la prise en compte de la rencontre de l’Afrique avec l’Occident qui fait incontestablement partie de l’histoire. S’il ne nous impose pas un retour en arrière, il nous invite cependant, avec ses mots d’écrivain-philosophe et de citoyen, à revisiter la pensée de quelques auteurs comme Chinua Achebe, Cheikh Hamidou Kane (avec l’idée de la critique de la raison impure), Bernard Dadié, Ayi Kwei Armah, Séry Bailly, Boa Thiémélé. À travers l’analyse de leurs œuvres, Guébo interroge l’héritage des indépendances. De ses soleils ? Pourtant comme le souligne le professeur A. Voho Sahi, « Il y a des sommeils parce que le soleil brille pour tous et que sa lumière, comme chez le philosophe, donne une variété de couleurs sans être susceptible elle-même de variété, il y a par contre, plusieurs façons de dormir » (Préface, p. 13). Il apparaît donc ici que la prise de conscience de nos sommeils a pour vocation de nous servir de tremplin pour la reconquête de la liberté.

 

 

 

Le deuxième thème est repéré concerne l’éloge de la fraternité intellectuelle. En rendant hommage à Kangni Alem écrivain togolais qu’il considère non seulement comme une référence, mais aussi comme « l’une des valeurs les plus sûres de la littérature togolaise  avec ses compatriotes Sami Tchak, Kossi Effoui, Théo Ananissoh», c’est à toute la communauté littéraire d’Afrique Noire que Josué Guébo rend hommage. Cet hommage fait écho aux propos du Pape Jean-Paul II sur la question de la fraternité : Nous sommes tous frères en humanité  et nous devons partager l’amour de nos sœurs et frères en humanité. Il est difficile à celui ou celle qui lit cette chronique, de s’exclure de cette fraternité. Le rêve est permis car chacun peut aussi, un instant, les yeux fermés, palper l’humanité d’un ainé en littérature ou dans la science. À travers cet hommage, c’est aussi finalement au Togo, « au-delà » du fleuve » que l’auteur rend hommage. Ce pays qui l’a accueilli dans ses instants d’exil, ce pays ami où il a noué de bonnes amitiés, pas simplement charnelles. Ce Togo est finalement l’Afrique. Cette fraternité intellectuelle est d’autant importante qu'à lire entre les lignes de l’auteur on comprend aisément que dans l’esprit de cette fraternité chacun ou chacune est appelé à se conduire comme le gardien ou la gardienne d’un frère ou d’une sœur, puisque toute fraternité doit s’ouvrir aux autres et résonner dans l’insolite existence intellectuelle de chaque « Écrivant africain ».

 

 

La troisième idée qui a retenu notre attention est celle de l’unité africaine ou de ce que nous avons appelé le « plaidoyer pour une modernité africaine ».  Dénonçant les dérives des pouvoirs Africains (endémies morales, passion immodérée du bien-être matériel…), l’auteur relève l’existence et la permanence des élites africaines dont les gouvernements ont du mal à se servir. Selon lui, le développement de l’Afrique dépend largement de la valeur que l’on accordera aux institutions éducatives, civiques et académiques. Telles sont bien les conditions qui aideront les africains d’assumer leur africanité. Guébo cible dix fondamentaux de la modernité africaine en concluant que la modernité dont l’Afrique a besoin est une modernité ouverte, c’est-à dire celle qui nous donne de valoriser notre identité et de nous ouvrir au changement. Se moderniser, écrit l’auteur « c’est épouser au présent sa vision d’avenir. C’est ajouter une plus value à ses propres conditions d’existence en demeurant, autant que faire se peut, soi ».  (p. 73)

 

 

En somme,

Chaque chronique, en acte, de ce recueil est un livre en puissance. Est-il un Évangile littéraire et philosophique doté de dix-sept bons chapitres ? Dix-sept livres de chaque ? L’avenir nous le dira. Toujours est-il que si Josué Guébo ouvre, dans un esprit de continuité, les vannes d’un immense débat, il n’est pas exclu que chacun ou chacune s’en approprie, car le penseur est comme cette femme-là qui dans la tradition africaine  endure les caprices de la grossesse et donne la vie, mais qui demeure consciente qu’elle ne devient pas la seule éducatrice de sa progéniture après l’accouchement. La richesse des questions soulevées invite chaque Africain à s’engager non pas dans une lutte physique ou encore dans une suite de revendications identitaires sans issue, mais dans un combat pour le respect de sa dignité, pour son autonomie intégrale et pour sa responsabilité. L’intérêt de ce livre est donc son caractère engageant et normatif pour aider chaque Africain/e à s’approprier son histoire et à lutter pour le développement intégral de cette partie du monde. C’est aussi ce qui rend le livre tout à la fois particulier et pertinent.

 

 

Pénélope Mavoungou

 

 

Références

Josué Guébo, Les sommeils des indépendances, Paris, l’Harmattan Côte d’Ivoire, 2015.

 

 

Petite biographie de l’auteur :

Josué Guébo est né en Côte D’Ivoire, à Abidjan. Docteur en histoire et philosophie des sciences, il est enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouet-Boigny d’Abidjan. Président honoraire de l'Association des écrivains de Côte -d'Ivoire, il est aussi membre de la Société Ivoirienne de Bioéthique, d’Épistémologie et de la logique. Il a été sacré Prix Tchicaya UTam’si pour la poésie africaine en 2014 avec son livre « Songe à Lampedusa »

 

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05/05/2016
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