Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

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La République des philosophes ou le paradoxe d'un engagement, Okolo Okonda

Dans cet article, Okolo Okonda s’inspire de l’histoire de la philosophie pour penser l'engagement des philosophes d'aujourd'hui sur  les problèmes de notre époque. Pour cela, il a ciblé quelques philosophes bien connus: Parménide, Héraclite, Platon, Aristote, Kant, Marx, Heidegger. L’article, à partir de cinq points précis, répond à la question suivante : La République des philosophes est-elle possible ?

 

Un désengagement engagé

 

Dès son apparition, la philosophie est politique. Elle est marquée par lplusieurs manifestations. Ce sont des manifestations qui se soldent par l’arrestation de quelques leaders qui subissent des persécutions de la part du gouvernement. Certains philosophes ont, par ailleurs, connu l’exil. Parmi les philosophes qui entretenaient la fibre politique, Okolo Okonda cite Héraclite dont « la pensée et les attitudes sont révélatrices de la nature paradoxale de l’engagement politique du philosophe » (15). Dans le Fragment 121, le philosophe d’Éphèse scande : « Que personne parmi nous ne soit le meilleur ! Sinon qu’il s’en aille ailleurs et avec d’autres hommes ». En réalité, c’est une manière pour l’auteur de traduire sa déception. Dans le Fragment 9, il écrit : « Les ânes préfèrent la paille à l’or ».

 

Un clin d’œil sur Parménide nous signifie qu’il a été Législateur et homme politique reconnu. Cependant il est resté neutre et n'a pas pris de position claire envers la chose publique.

 

Au sujet d’Héraclite, Diogène Laërce (IX, 3) rapporte qu’il (Héraclite) jouait avec des enfants dans la cour du temple d’Artémis, lorsque vinrent auprès de lui quelques éphésiens tout étonnés de le trouver là. Il leur dit : « De quoi vous étonnez-vous ? N’est-il pas mieux de faire ce que je fais que d’être avec vous en train de vous occuper des choses de la cité » ?

 

De cette anecdote, on pourrait définir le désengagement désengagé comme le refus de participer à une politique politicienne dans le but de s’axer sur l’objet de la vraie politique. Héraclite ne rejette pas le gouvernement éphésien de son temps, mais il s’engage autrement. Pour mieux comprendre cette forme d’engagement, il est important de comprendre le cours d'Heidegger sur Héraclite. Selon Heidegger, trois termes forment le socle de la pensée d’Héraclite : Le feu, le jeu et dieu.

 

Le feu, c’est ce qui est à l’origine de tout, qui embrase tout, qui consume tout. Il est dieu ou Logos et son activité n’a pas de finalité car c’est un éternel jeu. Selon Okolo Okonda, « le mot d’Héraclite veut rappeler aux Éphésiens que la politique n’est pas l’activité la meilleure ni la plus élevée. La plus élevée en dignité n’est pas toujours celle que l’on pense. Le jeu d’un enfant est plus élevé parce que plus conforme à l’être que ne l’est la politique des Éphésiens » (p. 16).

 

On peut dès lors comprendre que dans la mesure où l’être est feu, jouer avec l’enfant (activité conforme à l’être), c’est reproduire les gestes de l’être. Par conséquent, Héraclite remet la politique à sa place en lui permettant de comprendre qu’elle n’est pas au-dessus de la piété, du Logos et du jeu. Il montre que c’est le Logos qui oriente la politique, l’éclaire et la guide. En jouant avec l’enfant, Héraclite enseigne aux Éphésiens que la politique est un jeu et ses solutions sont en deçà de la recherche des solutions du jeu des enfants. Ce qui est tout à fait réel, car si l’on observe les problèmes qui se posent aux politiques, on se rendra compte que ce sont des questions qui sont techniques et facilement résolvables. C’est le cas pour l’éducation ou encore la construction des hôpitaux. Ce qui n’est pas le cas pour le jeu de l’enfant qui demande une grande concentration.

 

En somme, Héraclite se désengage de la politique politicienne, mais demeure engagé dans la vraie politique, car en jouant avec l’enfant, il participe de la construction de l cité.

 

Un engagement désengagé

 

Suite à la mort de Socrate, Platon et Aristote ramènent la politique dans la philosophie afin que les philosophes ne sombrent pas dans le politicisme. Ils instaurent « une République des philosophes, une Cité où le philosophe serait roi, une cité régie par des princes philosophes ».

 

Platon est un philosophe de l’engagement. Cette idée traverse l’ensemble de son œuvre et plus particulièrement « République ». Fondateur de l’Académie, son objectif est de former les futurs dirigeants des cités grecques. Mais de quoi est fait l’engagement politique de Platon ? D’une moralité, comme le montre « République ». Il montre que conduire une Cité est un devoir et non un canal d’enrichissement ou de recherche de visibilité. C’est pourquoi lorsqu’un philosophe s’engage pour la politique, son devoir c’est de ne pas laisser le pouvoir entre des mains immorales et déshonorables.

 

Notons tout de même que Platon reste un engagé très prudent. Il invite à s’abstenir lorsque les conditions ne sont pas réunies. Il conseille de camper dans les limites du possible : « Il faut éviter l’héroïsme gratuit, des crimes inutiles contre la philosophie » (République IV, 496-497a)

 

Quant à Aristote, il ne cherche pas à devenir conseiller d’un homme politique. Ce qui l’intéresse c’est l’éducation et la réflexion, parce qu’il sait que c’est en enseignant que l’on fait des hommes et des citoyens. Il fait partie des philosophes qui partent en exil afin d’éviter aux Athéniens un nouveau crime contre la philosophie. Son objectif est d’aider la société à se conformer à un type de société idéal ; idéal qui se trouve dans le choix de régime que l’on opère. Aristote demeure conscient qu’il n’existe pas de meilleur régime. Par ailleurs, il insiste sur l’idée que, peu importe le type de régime qu’on aura choisi, ce qui compte c’est la garantie de la justice, de l’esprit de logique et de la médiété. En somme, Aristote est pour le réalisme politique.

 

Conflit : raison-liberté

 

L’auteur analyse ici le texte de Kant : Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ». Pour Kant, l’Aufklärung constitue la sortie de l’homme de son état d’adolescence pour le conduire vers l’état d’adulte où il est libre et responsable. Il souligne l’importance de la sphère publique dans l’engagement de l’homme, car c’est à travers l’utilisation publique de sa raison qu’il peut exercer sa liberté et la tolérance. Pour Okolo Okonda, « la leçon à tirer des modernes c’est que l’engagement politique ne se sépare pas d’un engagement philosophique profond. « Audere sapere » : Osez savoir et cela ne peut aller que dans la liberté, écrivait Kant. » (19)

 

Dictature ou démocratie

 

Avec Karl Marx, Savoir et penser ne suffisent plus à manifester un engagement politique. l’auteur de Le Capital affirme que la politique est un tissu d’intérêts que la pensée ne peut suffire à traduire. Elle est faite de rapports de domination. C’est pourquoi, « L’engagement politique précède toute pensée susceptible de participer à la libération de l’homme » (19). En accordant la primauté à la pratique, il finit par considérer théoriquement la philosophie comme la lutte des classes. L’inconvénient de la théorie des Marx c’est qu’en donnant le pouvoir philosophique à chaque chef d’État, elle les aide à installer la tyrannie, car les libertés fondamentales prennent un coup. C’est le cas de beaucoup de présidents africains qui se sont pris, illusoirement, pour des rois-philosophes. le grand problème c'esy qu'ils ne sont pas parvenus à intégrer le paradoxe raison-liberté.

 

Engagement controversé.

Martin Heidegger s’est trouvé du côté des Nazis dans les années 30. Le monde le lui a reproché. Il s’en est expliqué dans une interview qui a été rendu public après sa mort. Il justifie son engagement et plus tard son désengagement. Pour Okondo Okola, la pensée d’Heidegger, bien au-delà de toute stigmatisation, demeure politique, à l’instar de celle de Platon, Aristote ou Kant. Son engagement politique vient de sa vision de l’humain. Et l’on sait qu’à un moment, certains engagements en faveur de l’humanité ou d’une nation peuvent virer au nationalisme ou au patriotisme illuminé. Il estime, de ce fait, qu’on ne peut pas reprocher à Heidegger son germanisme duquel ne pouvait a postériori découler le racisme, l’antisémitisme ou le totalitarisme.

 

Conclusion

 

Pour Okondo Okala la République des Philosophes est de l’ordre de l’illusion, car la philosophie elle-même s’y oppose. De fait, elle va à l’encontre de l’exercice de la liberté de même qu’à l’idée de la politique comme jeu d’intérêts. Pourtant, dans son être au monde, le philosophe sait quel est son rôle : être la conscience du monde. À ce propos, il écrit :

 

« L’engagement politique du philosophe c’est d’abord un engagement de tout homme, de tout citoyen. Avec les autres et plus que les autres, il porte à cœur la chose publique. Mais en tant que philosophe, son engagement passe par une pensée profonde et correcte. L’engagement politique est controversé s’il édulcore la philosophie. Le philosophe c’est un homme d’une pièce. On ne lui pardonne jamais l’incohérence et l’inconséquence, théorique ou pratique. Le philosophe doit tendre vers la sagesse, c’est-à-dire vers une plénitude d’action qui fait suite à une plénitude du savoir. Enfin, l’engagement du philosophe se traduit par un discernement dans les causes à défendre. Ici le peuple et l’histoire ne lui pardonnent pas l’erreur. C’est là une conséquence de l’interaction nécessaire entre pensée et action. Logique, conséquence et justesse de vue, voilà ce qui caractérise l’engagement du philosophe, voilà la mesure de sa responsabilité » (p. 22)

 

 

              Par l'Équipe du Blog de Philosophie Politique.

 

 

Références

Okolo Okonda, La République des Philosophes in "Recherches philosophiques africaines", Kinshasa, FCK,p. 15-22, N°25, 1993.

 

 

Qui est Okolo Okonda?

Benoît Okolo Okonda est né en 1947 à Lodja, en République démocratique du Congo. 

Après les études de philosophie, de théologie et de langues et littératures africaines, il est docteur en philosophie (Université de Lubumbashi) et actuellement professeur de philosophie à la Faculté catholique de Kinshasa, à l’université de Kinshasa et à l'université Saint Augustin de KinshasaAprès son doctorat en philosophie, il se rend à Heidelberg (Allemagne) pour approfondir ses recherches en philosophie, où il rencontre Hans-Georg Gadamer. Okolo est surtout reconnu comme un important théoricien de l'herméneutique et de la tradition africaine.

 

 

 

 



06/03/2017
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