Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

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La question de la Tyrannie dans De Regno de Thomas d'Aquin

 

Saint Thomas d’Aquin (1225-1244), philosophe et théologien italien nous offre dans  De regno une véritable critique de l’autocratisme. Pour lui, « la tyrannie est le pire des régimes ». Nous suivrons sélectivement son argumentation en présentant les caractéristiques d’un tel régime, ses conséquences et comment il propose de s’en débarrasser. L’auteur pense clairement à partir des catégories bibliques et chrétiennes. A cet égard, les notions de péché et de châtiment éternel sont évoquées. Un tel ouvrage est pertinent car il est possible d’employer sa grille comme instrument critique contre les politiques rétrogrades d’Afrique Centrale. 

 

 

Le tyran et la prédation du bien commun

 

Le tyran se caractérise par un gouvernement injuste à travers lequel, il profite du bien commun dont il en fait une propriété exclusive. Saint Thomas le démontre dans une phrase limpide : « Plus un gouvernement s’éloigne du bien commun, plus il est injuste » ;  l’Aquinate poursuit en ces termes : « Un gouvernement est donc d’autant plus injuste qu’il s’éloigne davantage du bien commun. Or on s’éloigne plus du bien commun dans l’oligarchie, où c’est le bien d’un petit nombre qui est recherché, que dans la démocratie, où c’est le bien d’un grand nombre; et l’on s’éloigne davantage encore de ce bien commun dans la tyrannie où le seul bien d’un seul homme est recherché. En effet, le grand nombre est plus proche de l’universalité totale que le petit nombre, et le petit nombre qu’un seul individu. Le gouvernement du tyran est donc le plus injuste qui soit. » (Saint Thomas d’Aquin). Du point de vue moral, le tyran est cupide et il a un gouvernement arbitraire qui méprise le droit et la justice.

 

 

La tyrannie abêtit les populations

 

Saint Thomas mène sa critique de la tyrannie dans ses effets négatifs sur les populations assujetties. La tyrannie a un effet pervers sur les populations chez qui est entravé le sens du progrès moral.  Le tyran sème la division parmi la multitude. Son arme principale est la peur par l’usage de la terreur. Que dit Saint Thomas d’Aquin ? « Il est naturel aussi que des hommes nourris dans la crainte s’avilissent jusqu’à avoir une âme servile et deviennent pusillanimes à l’égard de toute œuvre virile et énergique, on peut le constater d’expérience dans les provinces qui furent longtemps sous la domination de tyrans. » (Saint Thomas d’Aquin). Le danger de la tyrannie est la production d’assujettis ; des peureux qui n’ont plus confiance en eux-mêmes et qui ploient en définitive sous la tyrannie d’une personne.

 

Le tyran abhorre le gouvernement par la raison il se comporte comme un animal. Il gouverne par la passion ; en cela, il est assimilé à une bête qui mange les plus faibles. Que dit Saint Thomas ?  « L’homme qui gouverne en rejetant la raison et en obéissant à sa passion ne diffère en rien de la bête, ce qui fait dire à Salomon (Ibid., XXVIII, 15) : "Un lion rugissant, un ours affamé, tel est le prince impie dominant sur un peuple pauvre." C’est pourquoi les hommes se cachent des tyrans comme des bêtes cruelles, et il semble que ce soit la même chose d’être soumis à un tyran ou d’être la proie d’une bête en furie. » (Saint Thomas d’Aquin).

 

 

 

La domination des tyrans n’est pas éternelle  

 

Un pouvoir odieux ne peut durer indéfiniment puisqu’il est exécré par la multitude. La capacité insurrectionnelle est toujours présente quand un tel gouvernement opprime la multitude. Ne pouvant pas compter sur la fidélité, le tyran règne par la crainte. Celle-ci est un fondement fragile. Le tyran n’a pas confiance. La peur qu’instille le tyran n’est pas éternelle car elle est vite muée en révolte contre les iniquités. « La crainte est un fondement débile. Car ceux qui sont sous l’emprise de la crainte, s’il arrive une occasion qui leur laisse espérer l’impunité, se révoltent contre ceux qui les commandent, avec d’autant plus d’ardeur que leur volonté était plus contrainte par cette seule crainte. De même une eau contenue par violence, s’écoule avec plus d’impétuosité quand elle a trouvé une issue. Mais la crainte elle-même n’est pas sans danger, car un grand nombre sous l’effet d’une crainte excessive sont tombés dans le désespoir. Or quand on désespère de son salut, on se précipite souvent avec audace vers n’importe quelles tentatives. La domination d’un tyran ne peut donc pas être de longue durée. » (Saint Thomas d’Aquin)

 

 

Quel sort faudrait-il réserver au tyran ?

Un royaume mérite de se prémunir contre la possibilité qu’a un roi de dégénérer. Cela requiert un choix discerné des personnes parmi lesquelles le choix de gouverner s’opère. « Il faut empêcher la royauté de se changer en tyrannie Puisque donc il faut préférer le gouvernement d’un seul, qui est le meilleur, et puisqu’il lui arrive de dégénérer en tyrannie, qui est le pire gouvernement, comme il apparaît d’après ce que nous avons dit plus haut, il faut travailler avec un zèle diligent à pourvoir la multitude d’un roi de telle sorte qu’elle ne tombe pas sous la domination d’un tyran. » (Saint Thomas d’Aquin)

Saint Thomas d’Aquin réfléchit à partir des catégories bibliques. Il énumère tout d’abord un choix mené selon ce que la personne choisie puisse ne pas déchoir dans la tyrannie. Cela passe par une décision discernée selon ce que Dieu veut : « D’abord, il est nécessaire que ceux à qui revient ce devoir élèvent à. la fonction de roi un homme tel qu’il ne soit pas probable qu’il tombe dans la tyrannie. C’est pourquoi Samuel, se confiant à la Providence de Dieu pour l’établissement d’un roi, dit au premier Livre des Rois (XIII, 14) : "Le Seigneur s’est cherché un homme selon son coeur." » (Saint Thomas d’Aquin)  « Ensuite, la direction du royaume doit être organisée de telle sorte, qu’une fois le roi établi, l’occasion d’une tyrannie soit supprimée. En même temps son pouvoir doit être tempéré de manière à ne pouvoir dégénérer facilement en tyrannie. Comment cela doit se faire, nous le considérerons par la suite. » (Saint Thomas d’Aquin)

 

Comment faudrait-il s’opposer au roi s’il tombe dans la tyrannie ? comment s’opposer à la tyrannie ?  Pour Thomas d’Aquin,  la tyrannie peut être tolérée si elle n’a pas d’excès ; certes, écrit Thomas d’Aquin, « pour un temps » ; il qualifie cette tyrannie de « modérée » ; il ne souhaite pas voir une opposition non discernée à un tyran, si cela entraîne des dangers énormes. S’opposer au tyran n’entraîne pas nécessairement la victoire sur lui ; et il sévira davantage. Pour Saint Thomas un tel échec entraînera de profondes dissensions au sein de la population.

 

Le tyran peut être renversé mais la réussite peut entraîner la division en factions rivales. Laissons la parole à Saint Thomas qui évoque également d’autres cas de résistance au tyran et les conséquences qui en découlent : « Et certes, s’il n’y a pas excès de tyrannie, il est plus utile de tolérer pour un temps une tyrannie modérée, que d’être impliqué, en s’opposant au tyran, dans des dangers multiples, qui sont plus graves que la tyrannie elle-même. Il peut en effet arriver que ceux qui luttent contre le tyran ne puissent l’emporter sur lui, et qu’ainsi provoqué, le tyran sévisse avec plus de violence. Que si quelqu’un peut avoir le dessus contre le tyran, il s’ensuit souvent de très graves dissensions dans le peuple, soit pendant l’insurrection contre le tyran, soit qu’après son renversement, la multitude se sépare en factions à propos de l’organisation du gouvernement. La multitude peut se défaire du roi ; mais selon quelle procédure ?  Une fois établi cette nuance de supporter le tyran pour cause de fidélité à l’évangile, pour Saint Thomas, « C’est l’autorité publique qui doit supprimer le tyran. Mais il semble que contre la cruauté des tyrans il vaut mieux agir par l’autorité publique que par la propre initiative privée de quelques-uns. » (Saint Thomas d’Aquin)

 

Pour chasser un tyran, « Il faut recourir à une autorité supérieure, s’il y a lieu ». pour le docteur angélique, Il faut aussi  recourir à Dieu, qui a pouvoir sur le tyran. Une question controversée est soulevée par une position de Saint Thomas ; en effet, il pense que « Dieu permet les tyrans pour punir le peuple » ; il le justifie avec des positions bibliques.  La tyrannie est la conséquence du péché du peuple hébreu. Cette position tient-elle ?

 

Saint Thomas s’interroge à partir de la terminologie chrétienne du « châtiment éternel » ; sera-t-il réservé au tyran ? laissons parler Saint Thomas d’Aquin : « Le tyran mérite le châtiment éternel. Le tyran est en outre privé de la béatitude la plus élevée, qui est due comme récompense aux rois, et, ce qui est plus grave, il se réserve le plus grand tourment comme châtiment. Si, en effet, celui qui dépouille un homme, le réduit en servitude, ou le tue, mérite le plus grand châtiment qui, quant au jugement des hommes, est la mort, quant au jugement de Dieu, la damnation éternelle, à combien plus forte raison faut-il penser que le tyran mérite les pires supplices, lui qui vole partout et à tous, qui entreprend contre la liberté de tous, qui tue n’importe qui pour le bon plaisir de sa volonté ? » (Saint Thomas d’Aquin) Saint Thomas, après avoir déconstruit la figure du tyran propose en retour un gouvernement où le roi emploie des valeurs constructives.

 

 

En somme, la critique thomiste de la tyrannie peut se lire en contexte et elle demande donc aux philosophes d’Afrique Centrale d’écrire des textes critiques à l’endroit de ce qui se passe en termes d’arbitraire ; et qu’ainsi, les générations à venir puissent éviter de sombrer dans ce jeu qui produit des citoyens peureux, incapables de se poser comme citoyens libres.  Ce livre parle à l’Afrique Centrale, il pourrait être employé comme instrument de critique de la politique comprise comme pouvoir à conserver par tous les moyens, y compris au mépris de l’éthique.

 

 

L’ouvrage est dense et il serait intéressant de s’interroger sur les pratiques dénoncées par Saint Thomas afin d’élaborer une véritable critique de l’arbitraire politique. A partir de ce livre il est possible de questionner à la fois l’accaparement du pouvoir politique qui se singularise par une prédation des biens et une résistance très souvent réprimée dans le sang.  Faut-il pour autant, mener un renversement des tyrans par des procédures institutionnelles s’ils ne parviennent pas à opérer ce qui est demandé d’eux ? La difficulté d’une telle question provient du caractère vide de la coquille institutionnelle que le tyran a la force de créer. Ainsi, le vote, l’assemblée, n’obéissent plus aux critères de la représentation du peuple mais ces instruments de choix sont galvaudés par des gens sensés représenter le peuple mais qui  ne se représentent qu’elles-mêmes.

 

Le livre est disponible :  http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/opuscules/20deregno.htm

 

Akono François-Xavier.

 

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27/04/2016
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