Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

Démocratie, Femme et Société civile en Afrique de Ngoma-Binda

 

Tirant des leçons de la manifestation des démocraties africaines à l’heure actuelle, l’ouvrage du philosophe Ngoma-Binda, qui adopte une méthode réflexive et sociologique, a un seul objectif : l’avènement de la démocratie en Afrique doit devenir meilleure et adéquate. Et pour cela il faut l’apport de deux réalités jusque-là mises de côté. Les femmes et la société civile. Pour comprendre cela nous n’avons pas besoin de lire des tomes et des tomes d’ouvrages de philosophie et de science politique. Le problème est là : le mal en Afrique est issu de l’inertie de sa société civile. Écrit en 2012, ce livre reste encore d’actualité au moment où certains pays d’Afrique ont du mal à décoller démocratiquement, car si l’avènement démocratique du début des années 90, à partir de l’autodestruction des idéologies communistes en 1989, a conduit toutes les cultures monopartites africaines à la démocratie, il faut reconnaître aujourd’hui que cela a davantage été un effet de mode qu’une démocratie dont l’essence se situe dans la souveraineté du peuple, la liberté et l’égalité. Ngoma-Binda rappelle donc que la démocratie avant d’être un régime politique doit d’abord être une mentalité, mais les peuples d’Afrique ont-ils été préparés à la démocratie ?

 

 

Démocratie dans l’Afrique post Coloniale : ce qu’il faut pour l’avènement d’une démocratie libérale.

 

Pour Ngoma-Binda, la démocratie imposée des années 90 est une « médication forcée » que les dirigeants africains acceptent à contrecœur. Dès lors les nouveaux démocrates usent de tous les moyens pour contourner les principes démocratiques. Il existe certes le multipartisme, mais la logique du pouvoir reste celle d’u monopartisme où sont bâillonnés ceux qui osent élever leur voix pour contester la corruption de la démocratie. Certains partis qui se disent d’ailleurs de l’opposition ne sont, en fait, que le reflet de ce monopartisme qui s’enlise dans l’ethnocratisme téméraire et dans le clanisme absolu. De ce fait, il paraît impérieux de mettre en place les conditions de possibilité et de survie d’une démocratie.

 

 

Premièrement le philosophe suggère la possibilité de revoir la « logique d’accession » au pouvoir politique en Afrique. Pointant du doigt la manière dont sont arrivés les hommes au pouvoir au moment de l’indépendance, l’auteur estime que c’est de là que tout est parti. Désormais, démocratie ou pas, les États africains se complaisent dans des coups d’états ou encore dans des assassinats pour pouvoir arriver au pouvoir. Peu importe alors la volonté du peuple. De ces accessions au pouvoir rudimentaires on note l’instauration des partis uniques. Ce qui malheureusement, selon Ngoma-Binda, n’a pas changé, car la stratégie politique est encore la même, formatée dans les cerveaux de plusieurs chefs d’États africains qui, désormais n’hésitent pas à parler de démocratie africaine pour justifier leur folie du pouvoir. Par exemple, l’auteur écrit  que « pour l’ensemble des cinquante ans des indépendances africaines, on aura connu 45 coups d’État militaires (de 1960 à 1980) plus 59 coups, soit exactement 104 coups et assassinats, et pas moins de deux centaines de tentatives de coup d’État violents » (p. 35).

 

 

Deuxièmement l’auteur évoque la non-alternance comme une volonté d’éternisation au pourvoir. Si dans la logique démocratique la logique et le principe de l’alternance sont mis de l’avant, dans la logique des démocraties africaines, « on ne connaît que très peu la notion d’alternance quand bien même on clame évoluer dans un système démocratique. Il en résulte que la volonté d’éternité au pouvoir constitue une source des misères politiques et de la mauvaise gouvernance de l’Afrique. Dès qu’ils ont accédé au pouvoir, mourir au pouvoir devient immédiatement le plus grand idéal des chefs d’État D’Afrique ». (p. 40). Ainsi donc les stratégies, selon Ngoma-Binda, utilisé pour s’éterniser au pouvoir sont : la fraude électorale, la contorsion de la constitution nationale et le dauphinage génétique. À cela s’ajoute les trois arguments pour justifier ce désir d’éternité au pouvoir : le travail entamé ne peut jamais s’arrêter, le président se considère comme étant seul garant du bonheur du peuple et la tradition africaine qui peut faire de lui un chef à vie.

 

 

 

La femme au pouvoir : engendrement de la politique

 

L’auteur dénonce ici la confiscation de l’espace politique par la gent masculine. Il s’interroge : « Une démocratie politique est-elle possible sans la participation de la femme ? Rigoureusement masculinisée, la politique ne manque-t-elle pas de civilité, et d’efficacité parce que, précisément, elle exclut la féminité ? Mais est-il vraiment justifié de souhaiter l’arrivée des femmes dans la démocratie des hommes ? » (p.59)

 

Pour l’auteur, une démocratie où la femme est prise à la légère est une démocratie inachevée. C’est pourquoi il dénonce la misogynie rationnalisée ou l’incompétence de la femme dans l’espace publique. Selon lui si le rejet de la femme est visible dans toutes les sociétés, en Afrique, elle est pire car la tendance générale considère que la sphère publique ne porte que l’émanation de l’homme. La femme est moquée, dédaignée et des fois réduite  à un instrument à la solde du pouvoir. Corruption et frivolité semblent la caractériser ou, du moins, c’est tel que les hommes la voient. À côté de ses jets dont est victime la femme, il y a aussi la femme elle-même, ou plutôt la tradition qui a fait de la femme un humain de seconde zone culturelle en ne lui donnant pas accès à l’éducation de manière équitable avec l’homme. L’idée qui consistait à réduire la femme dans la sphère du mariage a fait plus de dégâts que l’on ne peut imaginer car le phallocratisme fait de la femme un éternel enfant pour qui l’homme demeure le seul garant de tout ce qui doit se faire.

 

En somme ce qu’il faut retenir ici c’est que pour NGoma-Binda, la justice demeure au fondement de la participation politique de la femme. Il invite, de ce fait, les femmes à prendre conscience : « Femmes, recherchez tout d’abord le royaume élevé de l’éducation, de la qualification, et en toute légitimité, la parité vous sera donnée naturellement. Recherchez la parité raisonnée et raisonnable, non turbulente, non téméraire, et non absolument « zébrée », et l’harmonie régnera, dans nos foyers et dans nos nations »  (p. 103-104)

 

 

 

L’engendrement d’une société civile politique

 

Pour Ngoma Binda, l’apolitisme et l’indépendance sont les deux principes de jugements et d’action de la société civile. Dans ce sens la société civile ne vise aucun accès à un gouvernement quelconque et ne vise aucun poste politique. Elle se proclame de la neutralité et de l’impartialité. Le risque que court les différentes sociétés civiles africaines c’est celui de la corruption politique et mentale. Il est à noter, de nos jours que plusieurs hommes de pouvoir ont à cœur de financer des associations de la société civile en vue de les arrimer à leurs arcs lors d’élections ou encore de mouvement de soutien comme le référendum pour le changement de la Loi fondamentale nationale. Cependant tout en étant apolitique, la société civile demeure le lieu de l’éducation de la citoyenneté. En gros, elle a pour mission de former le citoyen à la politique sans se politiser elle-même, même si, sur une entente avec ses membres et devant une situation d’extrême urgence, elle peut décider d’entrer en politique. En somme pour Ngoma-Binda pour qu’elle tienne, si elle veut entrer en politique« la société civile (…) est tenue d’actionner des règles de transparence et de démocratie en son sein, dans sa structuration et dans son fonctionnement » 128

 

 

Citoyenneté mature et bon exercice du pouvoir

 

L’auteur déplore ici le manque d’innovation et d’adaptation de la part des démocraties africaines, pour repenser cette démocratie libérale pour laquelle ils ont tous optés. La quasi-totalité des constitutions africaines affirment des principes qui n’ont aucun ancrage dans la réalité. Ils sont, au contraire bafoués. En bref, il s’agit d’un copier-coller des constitutions occidentales en mal d’adaptation. On ne peut pas parler de démocratie en Afrique lorsqu’on est incapable de respecter les Constitutions nationales. Pour l’exercice d’un pouvoir politique démocratique viable, Ngoma-Binda évoque quatre idées. Primo une vision claire, éclairée et pertinente. Secundo le sens de justice impartiale. Tertio un courage soutenu par une détermination sans faille. Quarto une volonté ferme nourrie à de l’énergie spirituelle inébranlable pour la cause de la nation et de l’humanité en elle. (p. 153).

 

 

Au-delà de quelques limites sur la place et le rôle de la femme dans les démocraties, l’ouvrage de Ngoma-Binda propose une réflexion socio-politique et philosophique nouvelle sur les questions de la démocratie libérale en Afrique. Il pose par-delà le traditionalisme africain le lien entre le particulier et l’universel concret, car il n’est pas possible de parler de démocratie, qu’elle se vive en Afrique ou ailleurs, lorsque les fondements de la démocratie sont mis à l’écart de la politique. Son approche sur la gestion de la société civile est d’une pertinence indéniable car, si aujourd’hui la démocratie a du mal à décoller en Afrique c’est bien parce que la société civile elle-même peine à se définir dans les sphères qui sont les siennes, se laissant embrigader par le pouvoir politique où lorsqu’elle n’est pas considérée comme une société civile, elle est considérée comme l’ensemble des micros partis avec comme vocation de servir le pouvoir corrompu « en voie de métamorphoses vers des formes insidieuses de monarchies ou de principautés » (p. 155). L’approche sociologique a été utile parce qu’elle a permis de se rendre compte que la question démocratique pose vraiment des questions quant au développement économique et culturel du Continent, car la quasi-totalité des États africains ont un problème avec les principes démocratiques. L’auteur est parti d’une enquête sociologique qui lui a servi de point d’ancrage. Quatre leçons se dégagent donc de ce livre. La première c’est de repenser la démocratie libérale à l’universel en augmentant ses prescriptions. La deuxième est celle d’accepter la pleine intégration de la femme et de la société civile dans la gouvernance politique. La troisième est la reconduction satisfaite du libéralisme et l’invention d’une forme libérale alliée au communautarisme. La quatrième c’est de privilégier la relation à autrui en investissant de la sincérité et de la responsabilité dans la reconnaissance intelligente de l’autre. Le tout dans une volonté de « civilisation de la démocratie » qui commence d’abord dans la « civilisation » de la politique.

 

 

 

Pénélope Mavoungou

 

 

P. Ngoma-Binda, Démocratie, Femme et  Société civile en Afrique, Paris, Éditions L’Harmattan, 2012 ;

 

Biographie :

Ngoma-Binda est professeur de philosophie, de science politique et d’éthique des affaires à l’Université de Kinshasa, directeur de l’Institut de formation et d’études politiques (Ifep). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de philosophie, de science politique et de littérature.

 

 

 13423863_1644901852498600_8104921028702408835_n.jpg

 



17/06/2016
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 33 autres membres