Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

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L'éthique en Islam, compte rendu de colloque

 

L’islam désigne deux objets qu’il faut distinguer : l’islam religion et l’islam civilisation,. celui-ci est régi par le droit musulman, qui lui-même est émanation directe de l’islam religion. L’éthique quant à elle, est un mouvement extrêmement habile entre les pensées et les cultures philosophiques. Ce compte-rendu s’articulera autour de deux niveaux de l’éthique en islam : une éthique philosophique et une éthique religieuse d’ordre juridique.

 

Ainsi donc la première partie s'est atachée à analyser les sources qui ont servi à l’élaboration d’une éthique arabe. La seconde partie quant à elle s’est intéressée à l’élaboration de l’éthique dans la philosophie arabe, aboutissant ainsi à la considération de l’éthique comme genre autonome. Celle-ci a constitué la troisième partie. Une quatrième partie s'est proposée de donner les principaux essais de synthèses découlant de notre réflexion.

 

I- Les sources :

Il s’agit des sources ayant servi à l’éthique arabe. Yahya a synthétisé trois sources à partir de trois traditions :

 

1-La tradition arabe : Elle a été transmise par la poésie, laquelle a connu des évolutions, mais a gardé un lien avec la qasida de l’anté-islam. La poésie c’est la mine de la science des arabes. Il faut noter qu’au IXe siècle, les vertus peuvent être d’ordre personnelles (courage et endurance) et sociales (hospitalité ou loyauté envers les membres de la tribu). Trois d’entre elles prédominent et font le lien entre la communauté et l’individu. Il s’agit principalement du sens de l’honneur personnel, de la maîtrise de soi et de la virilité. En dehors de ces rois aspects, il y a l’implication du mérite.

 

2- La tradition persane : L’empire islamique a été marqué par la suprématie arabe sur les populations soumises. Le Khalife s’entourait aussi bien des secrétaires arabes arabophones que persans arabophones. L’activité des secrétaires persans véhiculent deux thèmes principaux : l’autonomie du politique et la raison , mise au premier plan. L’éthique qui se rattache à cette forme d’esprit s’appelle activité en vue du bien.

 

3- L’héritage philosophique grec : Les héritages arabes et persans constituent un fond culturel incarné dans les mœurs même, contrairement à l’héritage grec qui, suppose un contact avec un ensemble de texte. Les traductions du grec dans le domaine moral sont extrêmement variées. Mais les apports sont ceux de Platon, Aristote et Gallien.

 

 

II - L’apparition de l’éthique philosophique arabe

La philosophie arabe se dit « falsafa » au IXe siècle. Ce terme désigne un courant de pensée qui se situe dans le prolongement de la pensée grecque. Il reprend à son compte les démarches syncrétiques de la basse antiquité.

  • L’élaboration conceptuelle :

Le plus ancien philosophe arabe AL-Kindi (IXe siècle) procède lui aussi de façon syncrétique vis-à-vis de l’héritage grec en s’efforçant de constituer un arsenal théorique. Il ne donne pas une structure définie de l’âme, mais il distinguera à côté du monde des passions une puissance dominatrice et une puissance rationnelle. Chaque puissance de l’âme a une vertu. A chacune de ces puissances sont rattachées des vertus subordonnées (tempérance, patience, maîtrise de soi). La vertu de l’ensemble des puissances est la modération qui constitue un équilibre nommé Justice.

  • La recherche d’un support scientifique

Dans son livre  livre intitulé Sur les causes des différences qui existent entre les hommes en ce qui concerne leur caractère, leur mode de vie, leur désir et leur choix moral raisonné, Qusta Ibn donne des exemples de ces différences. D’une part dans les caractères et les conduites, de l’autre dans les passions. Il désignera deux causes (la nature des hommes et la diversité des tempéraments)  qu’il soumet à une analyse scientifique rigoureuse, en les reliant aux quatre organes prédominants que sont : le cerveau, le cœur, le foie et les testicules, envisagés selon trois paramètres : leur volume (grand petit), leur tempérament (égal ou inégal), leur substance (bonne ou mauvaise). Ces six éventualités sont combinées de toutes les façons possibles.

  • La portée sociale de l’action

A côté des Grecs, l’intelligentsia arabe utilise la littérature grecque et la littérature gnomique. La première est constituée par des écrits pseudo aristotéliciens faisant d’Alexandre Legrand, le modèle des rois. Elle converge avec l’intention des secrétaires iraniens comme miroir des princes. La seconde (gnomique) est fondée par des recueils byzantins empruntés par différents auteurs.

 

La philosophie va prendre une forme élitiste qui lie métaphysique et politique. Ceci va apparaître avec FARABI au Xe siècle. Le texte de celui-ci sur les idées des habitants de la cité vertueuse va montrer le lien entre philosophie première et politique. Il traite d’abord de l’être premier et de ses attributs, puis il expose la théorie de l’émanation héritée du platonisme et la théorie hylémorphique, ensuite, il fait suivre l’exposé de la théorie de l’âme et la puissance, liée à la doctrine de l’information de la matière et de l’interprétation des songes et des inspirations prophétiques. C’est l’inspiration prophétique qui introduit l’éthique proprement dite.

 

Selon Farabi, Le souverain bien et l’ultime perfection ne s’obtiennent qu’à la cité d’abord et non à une société moins parfaite. La cité est organisée en fonction avec la hiérarchie de l’âme. La fonction dominante est la volonté du choix, de la conception du bien et du mal. C’est pourquoi il insiste sur le rôle de la volonté (le cœur). Il met au premier plan l’âme rationnelle et il pense que les mauvaises cités découlent des mauvais choix de la volonté.

 

III- L’éthique comme genre autonome

Bien que de formation philosophique, Ibn ‘Adi ne reprendra dans son livre que ce qui de la philosophie lui permettra d’organiser son exhortation en règle de vie. Par conséquent, il rompt avec la métaphysique et l’analyse scientifique et définit un univers intermédiaire entre deux niveaux de valeurs : la valeur de tout un chacun répercutée par les traditions littéraires ainsi que les idéaux de l’élite intellectuelle encore balbutiant dans des germes qui restent partiellement cloisonnées. Ce qui littéralement se traduit par le titre de l’ouvrage « correction des mœurs ». Il expose deux séries de vingt vertus avec en tête la tempérance. La deuxième série, ce sont les vingt vices. Pour chacun on distingue les niveaux sociaux, ce qui est vertu pour l’un peut être un vice pour l’autre.

  • L’éthique coranique

Il y a dans le coran, un certain infléchissement de la morale biblique. Il énonce des principes moraux généraux qui correspondent à certains commandements du décalogue biblique, dilués dans divers passages du coran et ne constituant pas un code. Les injonctions sont formulées de façon juridique. La notion de « Hukm » que le coran lui-même emploie pour qualifier les indications divines a glissé de l’idée de sagesse vers celle d’ordre et de celle d’ordre à celle de qualification légale. 

 

L’aspect prédominant de vertus prônées dans le coran est leur caractère relationnel. Tout est envisagé dans le rapport soit avec Dieu, le prophète ou les autres hommes. Le rapport à Dieu réside avant tout dans la foi. Ceci implique avant tout pitié, louange, gratitude et confiance. Ce sont là les vertus du croyant. Leur réalisation entraîne l’acquisition de plusieurs vertus : humilité, l’attention à l’enseignement de Dieu, la patience et la persévérance.

  • L’impact de l’histoire dans l’élaboration de la question éthique

L’existence du mal n’est pas posée comme problème en islam, le problème moral étant éludé. En détournant l’attention des croyants vers l’action de lutte, l’islam a favorisé la considération du problème moral comme condition requise pour être compté dans la communauté des croyants.

La volonté de Dieu est contemporaine de ses actes. Dieu agit avec les choses, mais ne les veut pas toutes. C’est la raison de l’homme qui détermine son action. C’est pourquoi la responsabilité est mise en relation avec le seul statut légal de l’action. C’est là que le doute intervient légitiment à ce sujet. Il ne s’agit en aucune manière de scrupule de conscience, c’est-à-dire de déroulement entre devoirs contraires. Ce qui meut le croyant, c’est l’obsession de la souillure.

  • La question du châtiment

C’est un thème omniprésent dans le coran. Si l’homme peut-être puni pour une faute, c’est qu’il en est « capable ». Il faut donc supposer que le Créateur a mis en lui une puissance d’agir parfaite et complète. Ces diverses spéculations sont à l’origine d’une attitude consistant à renvoyer au jugement final à Dieu où Dieu désignera qui est vraiment croyant. L’homme dans ce cas va se contenter de l’admonestation ou de la correction en cas de faute. C’est ce qui explique la consultation très présente des jurisconsultes musulmans.

 

Dans ces conditions, pour les musulmans qui se tiennent en dessus du dernier niveau, l’éthique se situe au niveau du souci de la rectitude religieuse qui est de l’ordre du juridique et la gestion de l’action qui fait partie d’un chapitre particulier de l’adab.

 

IV- Les principaux essais de synthèse

Deux auteurs, Al- Mawardi et Ghazali dont les écrits ont un caractère humaniste. Nous nous limiterons à Ghazali dont l’œuvre se situe à un niveau plus élevé parce qu’il intervient aussi en période de crise. Il a joué le rôle de garant de l’orthodoxie, rejetant tout ce qui à ses yeux était inadmissible.

 

Il fait l’étude de la philo dans le monde en quatre sections : la logique, l’éthique, la physique et la métaphysique. Son attitude vis-à-vis de l’éthique est ambigüe. Il fait un traité spécial : la balance de l’action. Il y distingue trois niveaux d’observations : le vulgaire, quiconque cherche à être guidé et l’opinion qu’un homme prend pour lui-même et qui n’est divulgué qu’à celui qui la fait sienne.

 

Il critique vivement l’éthique philosophique en modifiant l’habillage antique et en donnant des exemples dans le quotidien musulman. Il y pose des questions à la théologie même : la question de correction des mœurs. Il prend position contre l’idée selon laquelle la disposition serait une nature crée entièrement dépendant de Dieu seul. Il rappelle la présence dans le coran de nombreux versets de commandements, d’admonitions d’encouragement et de menaces. Par leur existence même, il prouve que l’homme est susceptible de changer de disposition. Il conclut que dans ce processus, il y a un acte de choix libre.

 

Finalement, cet auteur sunnite, a synthétisé une grande partie des réflexions morales qui ont éclot dans le monde islamique. Pour lui, de même que l’ouverture au sophisme ne supprime pas le légalisme, de même l’acceptation de l’idée capacité propre à l’homme, ne dispense l’idée de soumission totale à la loi.

 

 

Pénélope Mavoungou, 

 

Compte rendu de colloque, dirigé par Madame Urvoy Marie-Thérèse,Docteur en études arabes et islamologiques (Paris I Panthéon-Sorbonne), Docteur ès lettres et sciences humaines (Paris I Panthéon-Sorbonne), HDR, qualifiée Professeur des Universités par le CNU

 

Ouvrages de référence de Marie-Thérère Urvoy

 

Liberté religieuse et éthique civique (direction), Paris, E.d.P., 2012, 304 p.

Essai de critique littéraire dans le nouveau monde arabo-islamique, Paris, Cerf, 2011

Ethique et religion au défi de l'histoire (direction), Paris, E.d.P., 2011, 206 p.

Christianisme et islam, foi et loi (direction), Paris, E.d.P., 2010, 222 p.

Islam et christianisme : éthique et politique (direction), Paris, E.d.P., 2010, 176 p.

Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien (en collab. avec D. Urvoy), Paris, Cerf Le premier traité d'éthique arabe, Paris, Cerf

 

 

 



31/01/2017
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