Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

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Pouvoir et paix civile en Afrique

 

Cet ouvrage, relu à l’heure des terrorismes actuels (2016) ne confortera-t-il pas la thèse de quelques pays d’Afrique comme des « nécropoles » ? Les révisions constitutionnelles ne corroborent-elles pas la captation du pouvoir politique violent  au détriment d’un ordre fondé sur le droit ? Les dictateurs transformés en « démocrates » ont-ils renoncé à des politiques tribales fortifiées par des armées tirant sur des civils qui manifestent leur ras-le-bol ?

 

 

Plusieurs sociologues, juristes, historiens, spécialistes de sciences politiques, hommes de terrain, militaires, mènent une étude approfondie d’une thématique qui pose problème en Afrique Contemporaine. Les textes proviennent d’horizons historico culturels différents. L’ouvrage rédigé par : Mwayila Tshiyembe, Manuel Jorge, J.P. Ndiaye, G. Ndaki, Amadou Toumani Toure, D. Bangoura, A. Mazrui, Lansiné Kaba, Mubangige Bilolo, R. Walters, B. Limbaya-Kirongozi,  Laoukissam  L. Feckoua, E.R. Mbaya, I. Nguema, S. Eno Belinga, nous conduit de l’Angola au Tchad, en transitant par le Rwanda, la République Démocratique du Congo. Leurs réflexions sont de la matière à penser pour la philosophie politique qui, en Afrique et ailleurs, gagnerait à questionner l’instabilité politique et militaire. Celle-ci est un véritable frein à la paix civile. L’enjeu de ces pugilats mortifères est le pouvoir politique, à conquérir ou à garder.  De nombreux morts n’ont pas eu le temps de jauger cette bêtise qui les a  anéanti. « La COMPTABILITÉ MACABRE » (p. 9) est exponentielle. Comment faire pour l’endiguer ? La réponse à cette question nous oriente dans le choix des propositions constructives en provenance d'une lecture forcément sélective d'un texte dense. 

 

 

Quel est le malaise de l’ethnie dans cette configuration violente ?

L’ethnie est belligène. Elle est employée sous les couverts de la religion manipulée. Le pouvoir utilise les ethnies pour mieux diviser en attribuant aux élites des dividendes de leurs inféodation aux systèmes politiques de domination. L’État qui vit ainsi de captation des postes de responsabilités et d’une armée tribale est un facteur de sévices et de mort.

 

Pour résoudre le problème de l’ethnie, il est proposé une « reconstruction de la cohésion nationale » (p. 201) « Sur le plan interne, les États doivent reconstruire leur cohésion nationale malmenée ces dernières années dans la pluralité ethnique qui permettrait d’occuper la place qui est la leur comme lieu de retrouvailles des individus avec les valeurs traditionnelles » (p. 202) ; il est donc proposé, le refus du sectarisme ethnique. Les grands ensembles politiques et économiques sous régionaux méritent également d’être développés.

 

Le principal facteur de résolution de cette épineuse tribalisation de l’espace politique est l’insistance sur l’intérêt général au détriment des enfermements particularistes. Le fédéralisme en ce cas est-il donc l’une des solutions ?

 

 

 

Qu’est ce qui fragilise la paix ?

La première réponse est d’abord d’examiner les raisons de la récurrence des guerres et ensuite l’examen des voies de sortie de cette impasse.  La voie de sortie est ainsi formulée : « la paix civile ne peut être restaurée en Afrique noire que si l’ensemble du corps social dans sa bigarrure, c’est-à-dire les citoyens et les nations africaines authentiques que sont les ethnies, seront les PILLIERS  du pouvoir politique et du projet de société démocratique auquel il est assujetti » (p. 12) ; un tel pouvoir devrait être construit sur les principes de la liberté et de paix.

 

Une réflexion sur la paix nécessite  d’interroger le rôle de l’État en tant que protecteur des droits fondamentaux de l’individu. Le pouvoir devrait retrouver sa source principale comme émanant du peuple ; une nation prospère gagnera à faire de la séparation effective des pouvoirs un socle fondamental d’un État démocratique. Le pouvoir judiciaire servira davantage à promouvoir les droits des citoyens.

 

La reconstruction de l’État nécessite surtout une redécouverte des valeurs des traditions africaines. La famille, élément clé de ce système pourrait ainsi cadrer à penser et vivre la complémentarité entre l’individu et le groupe. Ne faudrait-il pas revenir aux valeurs de l’entraide et de la solidarité ? Ces valeurs ne sont-elles pas lettre morte devant la poussée du matérialisme et de l’égoïsme qui ainsi promeuvent l’oubli de l’éthique ? Une restructuration des mentalités s’impose suivie d’une éducation constante aux règles démocratiques enracinées dans les différents terroirs. Au sein de ces pays, les libertés méritent d’être respectées et le sens du progrès moral et matériel marchent de pair. (pp. 262-263)

 

 

Quelles sont les valeurs constructrices de l’État de droit ?

Comment penser l’État de droit dans ces situations de précarité où le souci du pain quotidien et des libertés ne sont pas garanties ? Dans un tel contexte, ne faudrait-il pas reconstruire la notion et la réalité du pouvoir politique ?

 

 

Quelles forces meuvent-elles le pouvoir ? Est-il aux sources du mal ou du bien ? Si le pouvoir est donné par le peuple, il lui revient d’évaluer les hommes politiques sur la base de leur respect de la vie. Or, si la vie est fragile, elle se voit protégée par l’ordre du droit. Le droit renvoie ainsi à la justice, à la légitimité. Par le respect du droit, le pouvoir se met ainsi au service des forces du bien. Le pouvoir qui est toujours accroché à la hantise du conflit entre le bien et le mal mérite de se questionner sur son véritable motif et ses pratiques. Les différents pouvoirs ne peuvent pas se départir de leur fondation morale. 

 

 

Comment reconstruire la notion de pouvoir sur les pratiques du respect de la vie ? 

Pour répondre à cette question, nous mentionnons que le pouvoir politique a pour principal rôle de protéger les populations contre les agressions extérieures. (Mubangige Bilolo, « Autorité et Maât : contribution de la philosophie politique à la paix civile »,dans Cahiers Présence Africaine, Pouvoir et paix civile en Afrique, Présence Africaine, 1996, p. 147.) Il a pour mission d’améliorer les conditions d’existence sociale. Il doit exercer la justice sociale dans le pays. Dans la philosophie Luba, les hommes n’ont pas un statut d’esclave des chefs. Ceux-ci sont au contraire au service des populations. Mubangige Bilolo réfléchit sur le sens du mot « Mfumu » pris dans une langue du Congo. Le Mfumu rassemble, réchauffe ; il assemble. Il lui est interdit de tuer ; il doit plutôt gouverner en prenant soin des veuves et des orphelins. Son rôle est de promouvoir le bien être des populations. Il gouverne selon les valeurs qui humanisent : « la compétence, l’efficacité, la responsabilité, le sens de la justice et de l’administration, la maîtrise de soi, l’intelligence, la sagesse, l’amour de la vérité, le Bumuntu, « sens de l’humain » … qualités indispensables à un Mfumu. » (p.152)

 

Les différents pouvoirs pourraient donc s’inscrire dans une dimension du soin de la personne. Comme le guérisseur, l’homme politique devrait se rappeler que le pouvoir a une visée thérapeutique dont il est le serviteur.  Le pouvoir mérite également d’être exercé par le respect des interdits éthiques et juridiques. La personne qui exerce le pouvoir politique a-t-elle été suffisamment préparée ? L’a-t-on suffisamment examinée avant de lui attribuer ce choix décisif pour la vie et l’équilibre de la communauté ? La personne à qui est déléguée un service de la communauté politique est-elle capable de le faire ? S’évalue-t-elle sans cesse en référence aux valeurs du bien et de la justice ? 

 

 

Y-a-t-il un lien entre forces armées et paix ?

« Les forces armées et de sécurité ont pour mission de sauvegarder ou de restaurer la paix. Tâche difficile en raison des résistances politiques et militaires qui déploient des trésors d’imagination pour l’emporter, la détourner, et aussi devant l’effort d’éducation à accomplir pour initier ces forces à un tel rôle » (p. 104). La paix est à ce prix, elle est fragile, et toujours  à construire. Il sied au monde dirigé par les hommes politiques de construire ensemble des décisions pour un monde plus humain.

 

 

Cet ouvrage conduit à penser les relations de la politique intérieure et extérieure ; la paix se construit par un projet commun où toutes les nations contribuent à la bâtir. Pouvoir et paix civile en Afrique pose les problèmes dans leur radicalité. Les ethnies devraient bâtir un pacte d’association où chacune respecte l’autre. Une conception de la justice et du droit mérite d’être construit pour dépasser les zones ombrageuses d’une cohabitation mortifère. Les dirigeants politiques devraient être éduqués aux valeurs constructives et s’éduquer à de telles valeurs.

 

 

 

François Xavier Akono.

 

Ouvrage: Les Cahiers Présence Africaine, Pouvoir et paix civile en Afrique, Paris, Présence Africaine, 1996.

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07/03/2016
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