Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

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Nihilisme et négritude. Les arts de vivre en Afrique, de CELESTIN MONGA.

 

A ouvrir cet ouvrage récent, le lecteur est frappé d’emblée par la page de dédicace ; Célestin Monga nomme ses Grands-Maîtres, Fabien Eboussi Boulaga, Ambroise Kom, François Ekoumou, son Professeur de Français d’un Lycée de Douala ; et, honneur des honneurs, Jean Marc Ela, celui qui a été accueilli par les Ancêtres ! Aux côtés de ces veilleurs, il cite ceux qu’il nomme « boussoles et anges gardiens », Kephren et Maélys, son jeune fils et sa jeune fille. Si la dédicace est un acte charitable de reconnaissance, elle invite ici à rentrer dans la contrée philosophique de l’auteur constituée ici d’une appropriation et du vécu du nihilisme dans la trame existentielle de l’Afrique sub-saharienne. Ce, au travers des tranches de vie où l’esthétique et la métaphysique se côtoient.  Où l’éphémère est rendu par une poétique de la vie.

 

 

Quelle est la trame de l’ouvrage ? La trame est pérégrine en ce que l’auteur, dans un exercice quasi autobiographique qui lui est déjà familier conduit le lecteur à relire ses carnets de route tout en faisant de temps à autre des incursions vers des analyses sociologiques et philosophiques. Les notes de voyages éparses, à la fois de son titre de fonctionnaire à la Banque Mondiale, et d’auteur prolifique, dévoilent des facettes des peuples sub-sahariens et certaines diasporas. La problématique est donnée par le titre de l’introduction de l’ouvrage, « Nihilisme : variations africaines » ; en fait, « Comment contribuer à résorber les déficits d’amour propre, de confiance en soi et de leadership qui engourdissent les esprits et diluent le bonheur ? » ( 25-26). Quelle est la philosophie sous-jacente aux transformations sociales en cours en Afrique subsaharienne. Le défi étant de parvenir à analyser le « substrat philosophique et les schémas de raisonnement qui se dissimulent derrière les comportements les plus banals de la vie quotidienne »(30-31) ce, sans généralisations hâtive.   Ici, la Négritude est une philosophie de vie qui ne saurait être aujourd’hui ramenée à ce qu’elle était hier ; c’est une conscience imbriquée entre l’ici et l’ailleurs en chaque Africain dans ses variations et ses différences ; il est davantage question d’une africanité syncrétique. Dans ce contexte, que dit l’auteur de lui-même ? « Je me définis donc comme citoyen du monde certes, mais africain malgré tout » (37) Qui est l’Africain ? (identité d’être) ; Comment savons nous ce que nous sommes ? (modalité existentielle)  Quels critères indiscutables nous définissent aujourd’hui ?  Comment penser l’altérité dans ce village global où l’Afrique n’est « d’ailleurs qu’une invention ? »(37)

 

 

Plusieurs thèses parcourent l’ouvrage ; les anecdotes convoquent la réflexion ; l’étonnement est sarcastique et méditatif devant la folie du roi et la nudité des postérieurs exposée sous prétexte d’affirmation politique pour cause de revendication de conférence nationale au Cameroun. La thèse se déroule en six chapitres dont nous allons brièvement présenter la substance.

 

 

Le Chapitre 1 est intitulé « Les ruses du désir. Economie politique du mariage » ; il débute par une histoire fort cocasse où Célestin Monga, de passage au Burkina Faso dans le cadre d’une mission du FMI est un peu déçu des fruits de l’hôtel ; il se rend par conséquent au marché de  fruits de Koulaba Ouagadougou (Burkina Faso) se procurer des fruits de bien meilleure qualité ; il se fait accompagner à bord de sa Mercedes Noire rutilante (digne de son rang de Chef de Mission), de son chauffeur Burkinabè qui lui servira d’interprète ; ayant acheté au double du prix proposé, la mère de la vendeuse, souhaite qu’il emmène avec lui sa fille ; Pourquoi la mère, veut-elle « offrir » à un inconnu, sa fille rencontrée au marché ? (55). Cet épisode conduit l’auteur à penser les déterminants de l’amour dans les couples africains. Pourquoi les femmes africaines se marient-elles ?  C’est sans doute pour « donner de l’épaisseur à leur existence, et investir des territoires psychologiques auxquels elles n’accèderaient pas toutes seules »(58-59) ; on se marie moins pour perpétrer la tradition et honorer les ancêtres « que pour se positionner sur l’échelle sociale, et se procurer le supplément de pouvoir d’achat indispensable pour assumer son statut » (59). 

 

L’amour nihiliste africain est du construit… on aime par intérêt.  La romance n’existe pas entre tourtereaux ; Le sexe en Afrique est outil de sélection, d’exclusion, vecteur d’affirmation d’identité  (femmes) et d’autorité (homme) ; le sexe devient parfois un instrument d’avancement, on arrange les notes scolaires et académiques par voie sexuelle ; certains professeurs s’adonnent au sexe avec une intrépide volupté…  Le chapitre se clôt par les vérités de l’orgasme où l’auteur peut lire l’idéation orgasmique qui conduit certain(e)s africain(e)s à se moquer de la mort. Jouir conduit à la souffrance et en même temps, l’acteur jouissant se moque de la temporalité et de la mort et semble ainsi atteindre par là le nirvana.

 

 

Le chapitre 2 « Je mange donc je suis Philosophie de la table » est ouvert par une méditation de Célestin Monga sur une chanson du Groupe Ivoirien Magic System, intitulée « Premier Gaou » ;dans cette musique chantée dans les rues sub-saharienne, l’on découvre Antou ; c’est une jeune femme qui choisit ses amants en fonction de leur pouvoir d’achat ; elle a abandonné son ancien copain au profit d’un fortuné ; ayant constaté que la carrière musicale du Gaou (nigaud dans le jargon d’Abidjan) a pris un envol, elle revient chez lui. Le jeune homme ironise sur les plats de son ancienne copine, en lui promettant du kédjenou (plat épicé composé d’un bouillon chaud en Côte d’Ivoire) d’éléphant ou des plantations d’alloco (frites de banane plantain dans le jargon d’Abidjan) . Ce point de départ anecdotique est un tremplin pour notre auteur qui s’interroge sur le sens du manger en contexte africain. Manger, est-ce un acte innocent ? Manger implique ce qu’on est ou ambitionne d’être. L’auteur réfléchit sur les significations du manger ; à Abidjan ou à Kinshasa, c’est consciemment que l’on choisit ses plats qui sont expressifs de sa condition. On veut manger pour être comme ; je demande un plat de poulet braisé pour manger comme un bourgeois, c’est ainsi que je peux quitter ma classe, le temps d’un repas pour me joindre aux commodités bourgeoises. Monga analyse les diverses formes que peuvent prendre le manger. (90) « Dans les régions du monde où les situations de pénurie alimentaire sont sources d’humiliation quotidienne, ce que l’on mange est souvent un puissant vecteur identitaire et une symbolique du pouvoir. Les Camerounais parlent ainsi de « politique du ventre » pour désigner la perception, dans le subconscient collectif, des stratégies individuelles d’accumulation et de positionnement social, des modes d’accès aux instances de domination – et donc de légitimation de soi. Ce que l’on mange participe donc d’une culture de pouvoir et exprime un éthos de la munificence en même temps qu’un rituel d’appartenance à un réseau relationnel. » (93) ; Manger peut travailler à restaurer l’amour propre et exprime la quête de dignité. Les Grands d’Afrique organisent des mariages, pour se faire voir, se faire valoir et montrer leur puissance ; dans les multiples banquets de mariage ou d’ordination sacerdotale, on voit on voit s’associer à la table d’honneur des évêques, des  faymen, des ministres autour des mariés ou des nouveaux ordinands. On mange, on boit du champagne, on écoute Mozart ; Lors de ces mariages, il est très vite attendu le temps des musiques cadencées qui verra honnêtes gens se comporter comme des brigands sur la piste de danse.

 

 

Le Chapitre 3, « Poétique du mouvement », est une méditation à partir de la musique. Pour notre auteur, La musique constitue l’esthétique de la vie dans le monde Noir (108) ; la danse comme théorie du mouvement permet de communiquer avec les autres ; néanmoins, il faudrait aller au-delà du superficiel pour juger de la musique  africaine et de la danse ; il est possible d’analyser le large éventail stylistique et philosophique des arts musicaux africains (110), que ce soit, lors d’un bal des Camerounais de Toronto, lors de l’écoute d’un Lokua Kanza dont l’album fait éprouver une expérience esthétique ; ou encore à découvrir un Richard Bona est un cinglant démenti anticonformisme et de l’épicurisme souvent allégué contre la musique africaine ou Afro-Américaine. Les Camerounais de Toronto dansent Frotambo (chanson à succès d’une vedette camerounaise Petit Pays) !  Peu importe la condition, femme enceinte ou professeur d’université ; « Pour tous ces braves citoyens qui paient leurs impôts et essaient de respecter les lois, la danse leur permet de déverser non seulement la sueur mais aussi d’exprimer toutes leurs mauvaises pensées, ces désirs inavouables de violence et d’autres choses encore. Elle les libère de la rancune sournoise dissimulée au fond de leur corps. L’espace d’une chanson, elle en fait des hors-la-loi tranquilles, des délinquants en liberté. Le nihilisme est là, bien présent : les « mauvais désirs », les pulsions inavouables, les envies coupables ne sont pas très loin. Peut-être constituent-elles d’ailleurs le secret de la fête. » ; Les danses sont expressives du désir de s’approprier le temps qui passe ;il s’agit d’investir chaque instant dans toute sa vivacité, sa vigueur et son intrépidité; la danse est un désir de se transcender. La danse comme évasion du soi, s’échapper du passé ; éviter le mauvais sort ; célébrer la vie dans la volupté, en dehors des cadres et des carcans ; la danse est une prière païenne.  A Toronto, les Camerounais se moquent bien de l’ennui et de l’amertume ; ils cultivent un épicurisme sans concessions le temps d’une fête. La danse se trace la perspective de l’oubli de soi et conforte une éthique de la vacuité. Cependant, la musique n’est pas réductible aux effets de quasi-transe qu’elle produit lors des bals africains qui commencent souvent très en retard ; un autre style de musique et d’une autre qualité peut s’écouter et procurer des émotions esthétiques. La musique de Lokua Kanza, musique de la mélancolie, musique de l’ivresse du désir, musique de la foi, qui donne parfois envie d’aller visiter l’au-delà. Sans bruit ni fureur, elle invalide le misérabilisme et le dénuement dont on affuble trop souvent l’Afrique. Elle dit délicatement sa noblesse et sa dignité dans des arpèges secs, qui égrènent les notes ; chez lui, la musique libère, exalte ; elle est sensuelle et élégante.

 

Dans la même veine, Richard Bona  représente « un compositeur qui veut laisser ses marques à la postérité » ; pour cela, il  « doit demeurer maître de ses émotions et de son imaginaire. Il doit viser la précision du chaos »(130) ; tel est l’exercice auquel il se soumet. Sa musique est anti-nihiliste ; elle est « objet de spéculation philosophique et lieu d’exploration des mystères de l’âme »(131). Bona a une musique dont le langage dense et audacieux, rame à contre courant de ces musiques de danse dans lesquelles on voudrait enfermer les Africains. L’autre part d’Afrique sub-saharienne qui danse pourtant dans les liturgies romaines blâme-t-elle les pensées pieuses de Monga qui croit à sa façon ? Avec la manière d’une éthique du provisoire

 

 

 

Le Chapitre 4 « La saveur du péché. Dialogue autour des funérailles de Dieu » revient sur l’interview accordée au Rédacteur en chef de L’Effort Camerounais  de passage à Washington. L’interview n’a pas été publiée dans les Colonnes du journal catholique ; l’interviewer, un abbé assez courageux à l’endroit de sa hiérarchie, a publié le texte dans un autre journal ; rien dans le texte n’indique le nom dudit journal ni son directeur de publication ; néanmoins, l’abbé courageux a reçu les coups de crosse du Nonce Apostolique qui crie à l’hérésie mieux, au sacrilège de Monga. Pourquoi ? L’interview prend des libertés de penser d’avec le donné révélé et d’avec les intendants des choses sacrées lues par la tradition judéo-chrétiennes. Célestin Monga, dans ses démolitions des vérités bibliques et de foi a provoqué l’ire de la nonciature. « Je suis croyant », affirme-t-il ; le Dieu auquel il croit se révèle dans le sourire de ses enfantset  dans le courage héroïque des gens simples et ordinaires qui persévèrent et ne se laissent pas décourager par les difficultés de l’existence.  La foi étant une affaire personnelle, le débat sur l’existence de Dieu semble bien dérisoire. ; débat infini et sans issue. Dommage que Dieu se laisse manipuler par les idéologies ; Mais il est si tolérant qu’il laisse libre l’athée et ne lui fermera pas les portes du Paradis. Qui décidera si les milliers de chinois qui ne connaissent pas Jésus Christ iront en enfer ?

 

Que penser du bilan des Eglises Africaines  si elles sont conservatistes d’un ordre social et culturel ; l’Eglise comme Institution et ses failles a-t-elle le monopole de la vertu ? En contexte africain, elle ne fait pas montre d’un engagement très prononcé contre le refus de l’inacceptable ; ses princes et pasteurs ne s’engagent pas pour défendre le citoyen ; dès que se présente le danger, ils rentrent dans leurs soutanes ; certes, il y en a qui ont payé de leur vie; mais jusque là, le Vatican ne se bouscule pas pour que lumière soit faite. « Au lieu de passer leur temps à débattre des significations de tel verset de la Bible, les administrateurs des religions révélées pourraient faire le travail de Dieu sur la terre, c'est-à-dire aider les gens concrètement à améliorer les conditions de leurs vies. Concrètement, cela signifierait par exemple qu’ils doivent être fermes dans la dénonciation des autoritarismes africains, ou même simplement qu’ils affichent un engagement plus vigoureux dans la résolution des problèmes de la vie quotidienne, des accidents de la circulation qui déciment les populations et font douter de l’existence de Dieu, à la destruction de l’écosystème qui cause d’énormes dégâts environnementaux à travers le continent »153-154 ; pourquoi ne met-on pas la force spirituelle que contient les Ecritures au service du changement social ? Pourquoi le Vatican n’exige pas que justice soit rendue aux mystérieux assassinats des religieux ?

 

La prolifération du divin n’est elle pas la conséquence de l’incapacité pour les Eglises officielles de proposer des solutions dans le marché de la demande spirituelle en Afrique ? Les Eglises instituées offrent-elles des alternatives, des rêves aux populations prises aux pièges de la fatalité et de misère ?  Encore faudrait-il contester toutes les fratries qui tiennent en laisse les gouvernants au nom d’un mysticisme trompeur et dangereux. Présidents, ministres et autres sont tous logés à l’enseigne de la précarité due à la conscience tourmentée de l’appât du gain ou de la légitimité mal acquise.

 

Pourquoi la croyance en la sorcellerie fleurit-elle en contexte de pauvreté ? N’est ce même pas contradictoire de penser avoir un Dieu Tout puissant et avoir peur d’un prétendu sorcier ? La croyance au Paradis n’est pas monnayable par rapport au bien ou au mal évité.

 

 

Dans le chapitre 5 intitulé «  Ethique des usages du corps. Une théorie de l’amour propre », nous lisons une philosophie du corps. Le corps est utilisé en Afrique dans une perspective qui permet de réaffirmer la dignité du pour-soi ; l’érigeant ainsi en instrument d’une vision nihiliste de l’existence. Philosophies du corps perçu, du corps méprisé, du corps revalorisé pour l’auto-estime et le retour de l’amour propre ; pour certains par contre, le corps devient comme une valeur mercantile ; d’autres veulent se pérenniser par l’entremise de changements d’organes… le mercantilisme du corps va jusqu’à accepter pour une africaine à aller se prostituer onéreusement dans les capitales européennes ; affirmant, « c’est mon corps ! » ces femmes se contentent de vivre sans préoccupations métaphysiques, ni valeurs préétablies… Je suis mon corps et je l’emploie en fonction de ce que j’ambitionne d’être ; le corps est source de valorisation de soi et construction d’une identité plus que narrative.

 

L’auteur, par action citoyenne et continuation de vérification de sa capacité d’indignation s’est rendu au poste de Police du Port de Douala  (Chapitre 6 La violence comme éthique du mal.); ce, à la sortie de l’incarcération des leaders de l’opposition Camerounaise, victimes d’avoir parcouru les capitales occidentales et ayant annoncé le début de la fin du biyaisme.  A la réclamation de la conférence Nationale Souveraine, fût répondue, une « fessée nationale souveraine » faite de 200 coups assénés aux leaders de l’opposition y compris Samuel Eboua qui en ce temps comptait 67 ans. Ce quasi septuagénaire a été rossé sans indignation par des tortionnaires, sans doute drogués, qui en récompense ont certainement reçu des avancées de salaires. L’ami cynique de Célestin Monga expliquait les ressorts d’une longue vie dans le Cameroun de la violence, par le fait de « comprendre et d’accepter que tout était illusion, et de ne surtout pas tenter d’intellectualiser les petits mystères de la vie quotidienne… » Perspective nihiliste ? Pour revenir à la violence, la bastonnade s’apparente à une pornographie du pouvoir ; c’est un moyen d’intimidation et de dissuasion ; c’est un moyen de laver l’affront ; cette justice affirme la puissance du Président qui, exposant le postérieur de ses adversaires politiques les rendaient derechef ridicule l’opposition par un discrédit et l’affirmation qu’il n’y a qu’un seul Père de la Nation;( 217) 

 

Marquer les corps de violence est l’instrumentalisation de la force démesurée du potentat postcolonial ; dans cette perspective, se situe Prince Johnson qui se délecte de la souffrance qu’il impose à son adversaire politique Samuel Doe. La violence en politique est employée lors des conflits ; par le viol, il s’agit d’humilier psychologiquement, fut-ce les enfants et les femmes. La guerre ne se gagne pas seulement sur le plan militaire, mais sur la capacité de violer l’intimité des femmes des adversaires, imposer sa puissance nue. Les leaders Prince Johnson et Foday Sankoh intègrent deux visions de la violence, « celle de Platon qui voyait dans toute personne un être tyrannique jouissant sadiquement et cruellement parce qu’elle domine les autres afin de se prouver sa propre supériorité ; et celle de Sigmund Freud qui, appréhendait la violence comme une faiblesse de la nature humaine relevant d’un symptôme névrotique »( 226) La violence armée peut-elle être employée lorsqu’on veut libérer les populations contre un régime autocrate et fascisant ? La violence n’est ce pas le lieu de rappel d’une précarité éventuelle ?

 

Le livre se conclut par une narration-méditation autour des évènements de la mort accidentelle du Père de l’auteur ; il nous suffit de vivre avec la certitude de devoir quitter ce monde un jour ; en fait, la mort de l’autre est comme rappel de ma propre mort. La conclusion nous présente des perceptions nihilistes de la mort et des funérailles (256#1) : comment les vieux des sociétés secrètes des Bana comprennent-elles la mort ? Les danses, lors des funérailles sont pour ces oncles del’auteur un superbe mépris de l’usure de la vie et de l’inéluctabilité de la fin ; mourir pour vivre…

 

Qu’est ce que le nihilisme en certains modes de vie africains ? Il s’agit, à partir de faits de vie de dégager des visions et des conceptions de la vie ; celles-ci sont portées par le questionnement sur la finitude, sur la manière d’entrevoir la joie comme ouverture à l’être ou au rien ; le nihiliste est celui qui se construit le sens de sa vie en pensant déjà à sa mort ; il vit sans souci d’interrogations métaphysiques ; il existe dans le vouloir-vivre ; celui-ci prend les formes de la femme qui ravale la romance comme expression de l’amour et s’intéresse à sa propre condition qu’elle veut améliorer ; l’on ne se marie plus par amour mais par souci de positionnement social ; l’on mange pour se faire valoir ; l’on aime pour se moquer de la mort et affirmer l’intrusion dans le Nirvana ; quand un alcoolique vient à dire, « tu bois odontol (boisson alcoolique très forte-sorte d’Africa-Gin), tu meurs, tu ne bois pas, tu meurs ! » et qu’il accepte de se défaire progressivement de sa vie, n’est ce pas du suicide ou alors, vivre dangereusement ? L’épicurisme des goujats n’en est pas loin ; celui qui, pour survivre en postcolonie affirme que tout est illusion, y compris la bastonnade des leaders de l’opposition fait montre d’un cynisme et d’un nihilisme sérieux ; cet ouvrage nous donne les variations du nihilisme : le nihilisme en amour ; le nihilisme dans les conceptions de Dieu ; le nihilisme dans l’usage du corps ; le nihilisme dans la résignation présomptive : « on va faire comment ? Ca va aller ! » L’auteur fonde-t-il son nihilisme dans une réappropriation africaine du pour-soi, de sa dignité et de sa destinée ? Il est question d’être, d’exister par soi ; donner de l’épaisseur à sa vie ; se réapproprier son identité volée ! L’on existe dans l’éphémère, dans le fugace, tout fuit à une allure vertigineuse. Et en dépit de tout, il faut sans doute s’arrêter, méditer et continuer de marquer le temps qui passe par une poétique de la vie que fixe l’œuvre d’art qui chante la beauté.  Le texte aurait eu moins de prétention à penser le nihilisme africain s’il se serait mis en perspective de comparaisons d’avec d’autres formes de pensées de la finitude sous d’autres sphères culturelles. Vivre autrement sa Négritude en dehors des cadres officiels et l’inventer au quotidien est possible. Comme toujours, il revient de ne pas absolutiser son propre point de vue et se remettre sans cesse en question pour davantage de responsabilité vis-à-vis du monde qui nous est donné à la naissance.

 

 

Akono François-Xavier. 

 

CELESTIN MONGA. Nihilisme et négritude. Les arts de vivre en Afrique, (Paris: PUF, 2009) 263 p.

 

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30/03/2016
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