Philosophie-politique-Recensions d'ouvrages

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Éthicien, de Daniel Marc WEINSTOCK

 

Daniel Marc Weinstock est un philosophe québécois qui s’intéresse à la philosophie politique et à l’éthique des politiques publiques. Il est fondateur du CRÉUM (Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal)

 

 

Lorsqu’il m’a été demandé d’écrire la chronique du livre « Profession Éthicien » de Daniel Marc Weinstock (2006), j’avoue avoir sursauté. Non pas parce que l’exercice demandé n’était pas dans mes cordes…mais tout simplement parce que c’était la première fois que j’entendais parler du mot « Éthicien ». Mon premier réflexe a été de regarder sa définition dans Le Grand Robert en ligne de la bibliothèque de mon université et voilà ce qui est noté : « Éthicien, ienne : spécialiste de l’éthique, des problèmes éthiques→Moraliste ». Ensuite, j’ai cherché la signification de moraliste : « Personne qui, par ses œuvres, son exemple, donne des leçons, des préceptes de morale (→ Évangélique) ». L’éthicien est ainsi associé au moraliste pour ne pas dire qu’il est un moralisateur. Daniel M. Weintstock, se sent un peu mal à l’aise avec cette connotation à la limite péjorative qu’on attribue à l’« Éthicien ». Ce dernier « serait quelqu’un de sentencieux, toujours prêt à porter un jugement sur le comportement des autres » (p.7).

 

 

L’image qu’on a de l’éthicien se rapproche ainsi de celle d’un prêtre, d’un rabbin, d’un imam qui sont des personnes représentant l’autorité morale au sein de la cité. Des personnes dont le comportement ne prête pas à confusion et qui sont des modèles à suivre. De façon générale, on peut dire de ces personnes qu’elles sont la morale personnifiée dans la mesure où ces personnes ont acquis un certain sens du bien et du juste. Sens qui les amène à montrer aux autres individus le chemin à emprunter et les préceptes à respecter pour demeurer dans le droit chemin et avoir un sentiment de sécurité. « L’éthicien serait selon cette vision des choses une sorte de prêtre séculier, porteur d’une doctrine capable de délivrer dans toutes les situations « la » situation paradigmatiquement éthique » (p.43). Vu sous cet angle, l’éthique serait comme une religion ou une secte et où l’éthicien serait considéré comme un gourou. On comprend peut-être ici le malaise éprouvé par l’auteur car dans cette optique, on risquerait d’assister à la naissance de la pensée unique où la parole de l’éthicien seule serait crédible et ne saurait être remise en question et ne saurait accepter aucune contradiction. De ce fait, on tuerait ainsi la pensée critique, la réflexion par soi-même et toute créativité. Il propose de ce fait une vision de l’éthique se fondant sur la philosophie politique. Ainsi il n’hésite donc pas à monter que dans les sociétés démocratiques, par exemple, le rôle de l’éthicien est d’apporter une lumière sur les débats citoyens, ceci afin de permettre à la société et aux décideurs politiques de former un socle qui s’intéresse aux véritables problèmes des populations ainsi qu’aux enjeux sociaux.

 

Pour l’auteur d' « Éthicien », l’objet de l’éthique ne consiste pas de prime abord à porter un jugement des comportements des individus. L’éthique accepte l’individu avec ses défauts, ses qualités, ses motivations, ses passions et tente tout de même « de mettre en place des institutions et des ensembles de règles favorisant les motivations moralement avouables et tendant à neutraliser les autres » (p.8). En effet, la vie dans la cité implique le respect d’un certain nombre de règles en vue de rendre les relations entre les individus harmonieuses, cordiales et afin de rendre la vie dans la cité vivable et tolérables. Sans la mise en place de telles règles, on risquerait de se retrouver dans la cour du roi Pétaud et où pour reprendre l’expression de Hobbes « l’homme est un loup pour l’homme ».

 

 

En parcourant le livre, on se rend bien compte que Daniel M. Weintstock nous relate en quelque sorte son parcours professionnel : comment il est venu à la profession Éthicien sachant qu’au départ, il est d’abord philosophe politique de formation puisqu’ayant suivi des études de philosophie. La philosophie est ainsi une discipline bien installée dans nos universités. Ce qui n’est pas le cas avec l’éthique qui souffre d’un manque d’autonomie disciplinaire. Après avoir exposé son parcours académique et professionnel, Daniel M. Weintstock présente l’éthique sous quatre angles différents qui forment l’ossature du livre.

 

 

L’éthique universitaire.

L’auteur commence ici par préciser que l’éthique au niveau de la recherche universitaire, c’est-à-dire celui du professeur, doit délimiter les principes susceptibles de conduire le vivre-ensemble. Mais cela ne peut pas se limiter à ce niveau, car une véritable éthique a la vocation d’être pluraliste et non unitaire dans la mesure où les problématiques divergent et convergent souvent vers le pluralisme des valeurs. Par la suite il présente les grands champs théoriques de l’éthique. Le premier c’est l’utilitarisme de John Stuart Mill. Le second c’est le déontologisme avec comme visage de proue Emmanuel Kant. Pour l’auteur, ces théories ne peuvent être appliqués comme des algorithmes à des décisions morales concrètes (…) ils illuminent certains des points les plus saillants sur le terrain de la moralité, mais ils ne se substituent pas au jugement moral de l’individu, qui doit toujours décider de ce qu’il veut faire à l’intérieur de ce terrain et qui doit toujours se donner la tâche de repérer les autres particularités moralement pertinentes des espaces de décision morale spécifique dans lesquels il se trouve (p. 19).

Le rôle de l’éthique serait donc, selon l’auteur, de « travailler à définir l’équilibre le plus défendable qui soit entre la protection de la sphère d’autonomie des individus protégée par les droits individuels et la protection du plus grand bien » (p. 19) pour le plus grand nombre sans sacrifier l’individualité de chaque citoyen.

 

 

Éthique et institutions

Pour D. Weinstock, les questions les plus essentielles que rencontre l’éthique contemporaine sont de nature institutionnelle. Il résume cette mission en quatre énoncés dont il ressort les exemples les plus pertinents. Tout d’abord le cas des décisions prises dans le cadre de la famille qui portent le stigmate de l’institution. Ensuite les débats de société comme le débat sur les thérapies géniques autour des cellules souches. Puis les comportements individuels qui peuvent avoir des conséquences sur l’ensemble de la société et qui influencent les décisions institutionnelles. En dernier lieu il parle de l’éthique professionnelle.

 

 

L’éthique dans la Cité

Dans la cité, le rôle de l’éthicien ne consiste pas à montrer aux autres individus le chemin à suivre en leur fournissant des réponses toutes faites au problème posé. Mais il agit en tant qu’éclaireur, enrichisseur et accompagnateur des débats démocratiques sur des problèmes ayant un enjeu éthique. L’auteur note que dans la cité, l’éthicien est de plus en plus sollicité à se prononcer sur les affaires concernant la cité. Aussi, il doit avoir une éthique professionnelle qui lui est propre : ne pas se présenter comme un expert, ne pas porter des jugements définitifs, éviter de se comporter comme un sanctionneur.

 

 

L’éthique de l’éthicien

Weinstock pointe deux erreurs que l’éthicien doit éviter dans son parcours. En premier lieu il ne doit pas se présenter comme le Moïse de l’éthique c’est-à-dire comme « l’expert capable de porter des jugements définitifs sur des questions à propos desquelles des gens raisonnables peuvent être en désaccord ». (p. 53). Ne se laissant pas berner par les médias, il doit toujours savoir que sa mission est d’ « éclairer le débat et non pas de s’y substituer » (p. 53). En deuxième lieu, l’éthicien gagnerait en se considérant comme « accompagnateur que comme un sanctionneur » (p. 53). En somme L’éthique professionnelle de l’éthicien repose sur le fait que « l’éthicien doit en quelque sorte se situer entre la partisanerie et la neutralité » (p. 54).

 

 

 

Concluons

L’ouvrage de Weinstock présente une pertinence visible quant à la question de l’éthique contemporaine. À l’heure du « tout éthique » où tout penseur ayant suivi un cours ou une session en éthique se présente désormais comme éthicien ou expert en éthique appliquée, ces mots de l’auteur sont nécessaires parce qu’ils nous rappellent, à juste titre que le rôle de l’éthicien n’est pas d’inventer mais d’accompagner en respectant la liberté individuelle des personnes. Ce qui est sûr c’est qu’au-delà ce livre, l’auteur nous invite à réfléchir sur la question de l’éthique de manière plus approfondie.

 

 

Nadège BIKIE, 

 

 

Références :

 

Daniel M. Weinstock, Éthicien, Montréal, PUM, 2006.

 

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20/04/2016
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